Violence des échanges en milieu tempéré
L’œil noir, je regardais ce petit merdeux de Jean-Eudes exhiber sa quincaillerie à toutes les gourdes du service Comptabilité. Il se croit où là, à la foire aux bestiaux ? Et que je te déballe le Blackberry, et que je te démoule la montre Nike soit-disant achetée à New York lors du dernier séminaire de la boîte… Et elles sont toutes là, à glouglouter et à remuer du popotin devant la mine ravie de cette andouille… Six mois dans la boîte et voilà le jeune coq en train de faire la roue pour s’attirer les faveurs du responsable commercial, patron de toutes choses dans le service. Et pour ça, rien de mieux que de se mettre les nanas du service Compta dans la poche ! Cette technique, je la connais, c’est même moi qui l’a mise au point. Pourtant, le Jean-Eudes, au début, je l’aimais bien, il remuait de la queue toutes dents dehors, un peu moi au début (l’acnée en moins). Moi aussi, je me les ai emballées les nanas du service Compta, et toutes encore, même la grosse Sigismonde ! C’est d’ailleurs la seule à ne pas prêter attention aux gesticulations vaines de l’Eudes. Elle a beau être à 6 mois de la retraite, il ne sert à rien d’essayer de lui apprendre de nouvelles grimaces, elle les connaît toutes. Ah, Sigismonde… Bref, je ne vais peut-être pas me laisser faire comme ça, oh, qui c’est le mâle dans la maison, hein ! Je me pointe discrétement derrière le coq et je lui sort :
– Dis voir, t’as vu ma nouvelle carte de visite, Jean-Eudes ? Papier velouté, un mince filet doré sur la tranche, une typo en Arial italique… Pas mal, non ?
Sûr de moi, je décoche mon sourire carnassier bouffé au tabac, certain de mon petit effet. Mais là, stupeur ! Jean-Eudes me lance un regard désespéré et, dans un rictus sorti tout droit de l’enfer, me murmure, condescendant :
– Mon pauvre Hector, t’es vraiment plus à la page. T’as vu ma carte de visite à moi ? Toute noire, avec juste mon nom, en plus c’est plus qu’une carte de visite toute conne vu que c’est aussi une carte Flash de 16 Go ! Je te raconte pas la tête des clients quand je leur file ça ! Contrat assuré !
Je sens mon cœur se serrer.
– Mais… Mais comment… Mais…
– Je sais pas si tu connais internet, Hector…
– Me… prends… pas… pour… une… buse…
– Eh ben tu devrais jeter un œil sur iTrafik, c’est là où j’ai repéré ce disque Flash. Un coup de fil au patron et hop, il m’en a acheté un stock !
Sigismonde, qui avait assisté à la scène, me lança un regard dépité. “Petit c…” sussurais-je, avant de me jeter par la fenêtre.
De la grotte du Vaucluse d’où j’écris ce billet, j’entends encore les rires sarcastiques des collègues qui eux, se rappelaient que nous n’étions qu’au premier étage. Et puis d’abord, c’est quoi internet ?
