La dernière danse de Ballmer
La dernière grande messe de Microsoft s’est déroulée ce jeudi avec à sa tête un Ballmer plus remonté que jamais. Devant des centaines de salariés de l’entreprise, celui qui prendra sa retraite anticipée d’ici un an a fourni un show très révélateur du personnage. Passionné jusqu’à l’excès, toujours capable de pitreries mais aussi souvent émotif jusqu’aux larmes, Steve Ballmer aura alterné toutes les facettes de son talent, sans oublier de lancer des piques virulentes sur les principaux concurrents de Redmond.
Apple ? Une simple entreprise de mode; Amazon ? Des vendeurs low-cost; Google ? Une boîte espion. En quelques termes lapidaires et remonté comme un coucou, Ballmer n’aura eu de cesse de vouloir donner l’impression que son entreprise était revenue au niveau, portée dans un élan de grâce par la simple ferveur de son patron sur le départ.
Sauf que cette fois, ça ne prend plus. Ça ne prend plus en fait depuis quelques années déjà, depuis 2007 en fait et ce moment exact où le même Steve Ballmer est parti dans un rire forcé en réponse à une question sur l’iPhone, ne sachant pas encore que ce petit objet rectangulaire allait permettre à Apple de doubler Microsoft en chiffre d’affaires, puis en bénéfices, bientôt en parts de marché, et tout ceci en l’espace de seulement 6 ans.
Ballmer reste Ballmer et ne cesse de promettre depuis 5 ans le next bing thing pour l’entreprise, qui ne vient jamais : après l’échec de Vista, celui de Windows 8 censé être pourtant le porte étendard du renouveau de la société, c’est maintenant la promesse de devenir une entreprise à la Apple, maitrisant toute la chaîne, comme s’il suffisait de brasser les milliards et de racheter Nokia pour parvenir dans les faits à construire une stratégie produit globale. Et l’affirmation que seul Microsoft est armé pour construire le futur semble bien décalée au moment où nombre d’analystes doutent de l’avenir même de l’entreprise.
Personne ne peut douter de la passion et de l’intégrité qui relie le bouillant CEO à son entreprise, mais la stratégie de l’échec mise en place depuis le départ de Bill Gates est presqu’un cas d’école. Encore intouchable en 2007, Microsoft est devenu cette entreprise fragilisée de toutes parts : Internet Explorer lutte maintenant au coude à coude avec Chrome après avoir tenu plus de 90% de parts de marché, Bing navigue dans l’ombre de Google Search, Windows Phone 8 n’est qu’un nain face à iOS et une fourmi face à Android, et les ventes de PC sous Windows s’effondrent.
A chaque étape de cette chute libre, Ballmer a fourni une de ses fameuses prestations scéniques sans que fondamentalement rien ne vienne enrayer la spirale infernale. Alors certes, tout n’est pas noir, Microsoft garde avec sa Xbox un pied dans le salon, les serveurs Windows marchent très bien en entreprise et Microsoft verrouille encore le monde professionnel sur les postes de travail traditionnels, mais la firme de Redmond ne fait plus peur à personne, n’est plus cet ogre que les autorités de la concurrence regardaient avec attention. C’est maintenant Google et Apple qui focalisent les suspicions, les critiques et les éloges, un signe d’une nouvelle ligne d’influence, dont Microsoft ne fait clairement plus parti.
Ballmer était le parfait communiquant pour le Microsoft des années 90 et le début des années 2000, ses gesticulations paraissaient moins grotesques. On se méfie toujours du capitaine du navire quand son bâteau domine la flotte. Mais 15 ans plus tard ces mêmes mimiques, cette même verve résonnent comme un aveu de faiblesse, presqu’un manque de compétences. Ballmer fait ses adieux, mais nul doute que passé les purs aficionados de la marque, il ne s’en trouvera pas beaucoup pour regretter son règne.