Le fromage de la copie privée
Après l’annonce du remplacement par Apple de son iPod mini par l’iPod nano, nombreux sont en France ceux qui ont été voir les détails du nouveau petit prodige musical. Grosse déception : avec 239 et 319 € le prix affiché est tout simplement prohibitif. La faute d’Apple?
Or le différentiel entre la France et les États-Unis est du à la taxe prelevée sur les mémoire flash pour la copie privée. Une aberration qui arrange tout le monde… sauf le consommateur
Après l’annonce du remplacement par Apple de son iPod mini par l’iPod nano, tous ceux qui en France ont été voir les détails du nouveau petit prodige musical designed by Cupertino ont essuyé une grosse déception : avec 239 et 319€le prix affiché est tout simplement prohibitif. Le web francophone, au delà de celui consacré à l’iPod en a largement rendu compte. La faute d’Apple?
Pas cette fois. Même si l’on ne prête qu’aux riches, le constructeur californien a fait de gros efforts de ce côté-là, en particulier depuis 2 ans.
En l’occurrence, il suffit de jeter un coup d’œil aux différents Apple Stores européens pour se rendre compte que le différentiel entre la France et les États-Unis n’est pas imputable à’un taux de change fantaisiste mais à l’aberration des barèmes appliqués par la commission chargée d’évaluer la rémunération sur la copie privée. Si l’on s’en tient à l’Allemagne et à l’Italie qui elles aussi appliquent ce même type de taxe, la comparaison reste très largement défavorable à la France : 199 et 249 € pour les modèles 2 et 4 Go en Allemagne, et 209 et 269€ pour l’Italie, contre -répétons-le- 239 et 319 € en France.
En cause, le taux particulier appliqué ici aux mémoires “flash” : en Allemagne le client contribuera forfaitairement de 2,74€ quel que soit le modèle choisi, en Italie de 5,8 ou 7,45€ selon qu’il s’agit de l’iPod nano 2 ou 4 Go, quand en France l’acheteur abondera aux fonds collectés par la S.O.R.E.C.O.P, à hauteur de 25,71 ou 51,44€ selon le modèle. Le terme “abonder” n’aura ainsi jamais mieux porté son nom…
A l’origine, on trouve les barèmes mis en place avec la commission Brun-Buisson en juillet 2002, qui prévoient une taxe de 1,05 € par Mega-octet sur les mémoires flash, quand les disques durs à destination des baladeurs n’étaient concernés que pour 8€ pour les supports de moins de 5 Go, 10€ de 5 à 10 Go, 12€ de 10 à 15 Go, et jusqu’à 20€ pour 40 Go. Une situation ubuesque dénoncée en son temps par l’UFC-Que Choisir, qui siège à la commission, et dont le résultat est de faire payer au client une taxe de 51,44€, soit à peu près 25% du prix hors taxes, lorsque 2 jours avant il n’en acquittait que 8 !
A la commission, on explique benoîtement que la situation n’est pas normale, et que celle-ci sera vraisemblablement réexaminée… mais pas pas avant janvier 2006. C’est du moins l’échéance que celle-ci s’est octroyée, pour réévaluer la tarification appliquée à l’ensemble des supports… et encore a-t-elle dû faire face à un “clash” sans précédent quand 4 des 6 représentants des consommateurs ont claqué la porte en mai 2005. Celles-cilles se sont aperçu que les représentants des ayant-droits comptaient assujettir les baisses sur certains supports comme le DVD à des augmentations sur d’autres, beaucoup plus en vogue.
Si l’on considère que le trimestre à venir -celui de Noël- est celui où traditionnellement se fait environ la moitié du chiffre d’affaires sur les baladeurs numériques, on comprend mieux pourquoi il est si urgent d’attendre que les fêtes de fin d’année soit passées pour prendre une décision. L’application de ladite décision intervient en effet le premier jour du mois suivant l’arrêt de la commission. Les Sociétés de Perception et de Répartition des Droits qui sont représentées à celle-ci ont ainsi largement le temps de voir venir…
Mais si l’on ajoute à cela que ce fameux dernier trimestre 2005 promet de voir l’explosion des ventes de l’iPod en France, telle qu’on a pu en connaître à Noël aux États-Unis ou en Angleterre l’an passé, on se rend compte que c’est un véritable hold-up auquel la SORECOP va se livrer, à peine le Père Noël aura-t-il tourné les talons : l’iPod mini représentait en effet le modèle de baladeur le plus vendu. Avec son remplaçant le nano, c’est désormais l’immense majorité du marché qui utilise la mémoire flash comme support de stockage.
Avec l’estimation de 250 à 400 000 iPods qui peuvent être vendus jusqu’en janvier, et si l’on considère que le modèle 2 Go peut représenter jusqu’à 40% de ce chiffre, c’est entre 1 720 000 et 2 330 000 € de plus qui tomberaient dans l’escarcelle de la SORECOP, par rapport à ce qui serait récolté si celui-ci avait été taxé à hauteur de 8€ comme auparavant. Et encore, la somme est-elle à mettre en regard avec la moitié des 190 millions collectés au titre de la redevance pour copie privée que la société a touché, pour toute l’année 2004. Et ceci ne concerne qu’une estimation pour le seul modèle 2 Go, pour le 4e trimestre… si ce barème imbécile ne rebute pas bon nombre de clients.
Mais le scandale ne s’arrête pas là. Quel que soit le chiffre au final, une bonne part de ce pactole n’ira même pas à ceux à qui il est destiné puisque, chose exceptionnelle, deux responsables des commissions chargés de contrôler la gestion des Sociétés de Perception et de Répartition des Droits ont dénoncé en mai dernier dans Le Monde les frais de fonctionnement beaucoup trop élevés de ces sociétés.
Marie-Thérèse Cornette-Artus, rapporteur général auprès de la commission de contrôle des SPRD, et Jean-Pierre Guillard, président de la Commission, ont ainsi pointé du doigt les salaires beaucoup trop élevés servis aux dirigeants de ces entreprises, l’opacité des informations vis-à-vis des ayants droit, et le gaspillage des frais de fonctionnement, estimés à une moyenne de 23%. Un comble quand on sait qu’un certain nombre de gros labels on profité de l’étiage du disque des années 2002-2003 pour se restructurer avec brutalité.
La balle est désormais dans le camp des associations de consommateurs et des industriels de l’électronique qui siègent eux aussi à la commission Brun-Buisson, rebaptisée commission d’Albis. Apple devrait quoi qu’il arrive tirer son épingle du jeu. Elle a désormais un accès prioritare à la mémoire flash depuis son accord avec Samsung. Elle a donc moins de chance de perdre des ventes au profit de ses concurrents, même si les résultats en volume de la filiale française pourraienht s’en ressentir.
Car le risque existe par contre de voir une part des clients demandeurs d’iPod nano se “débrouiller” en effectuant leurs achats de Noël dans le pays frontalier le plus proche… dont certains comme l’Espagne, la Belgique ou le Royayme-Uni n’appliquent pas la taxe sur la copie privée !