R&D Apple en Chine : protéger les futurs brevets ?
Depuis l’annonce d’Apple d’installer l’un de ses centres de recherche à Shanghai, les interrogations se fixent sur l’objectif réel de la manoeuvre. A première vue en effet, la Chine et son marché gris endémique n’est pas le lieu qui semble le plus approprié pour laisser des ingénieurs inventer des technologies futuristes sous brevets. Et pourtant : l’évolution de la situation juridique aux Etats-Unis pourrait demain empêcher tout acteur du marché mobile de protéger efficacement la moindre innovation contre la copie de concurrents peu fair-play, renforçant l’attractivité de la Chine comme “bouclier à brevets“. En effet, lorsque la Juge Koh établit un jugement indiquant qu’on ne peut faire interdire les ventes d’un appareil mobile sous prétexte que ledit brevet en infraction supposée n’est qu’un petit sous-ensemble d’une totalité complexe, elle institue un précédent d’une ampleur encore trop peu analysée.
Dans l’avenir, il n’est pas impossible (voire même probable) que sur le territoire nord américain plus aucun smartphone ou tablette ne puissent subir d’injonctions de vente, sur la base des seuls arguments établis dernièrement contre Apple par la juge Koh puis la FTC (dans l’affaire du Nexus). Qu’il s’agisse de brevets logiciels ou matériels, ou bien encore d’éléments de trademark, tous ne sont au final que des parties d’un tout qui s’appelle smartphone ou tablette et n’expliqueront jamais à eux seuls le choix des consommateurs d’aller vers telle ou telle plateforme. Ce sophisme pourtant trivial, interdit de facto toutes possibilités d’injonction.
Les pénalités seraient alors les seules conséquences juridiques d’infractions reconnues, ce qui revient à considérer que dans tous les cas possibles, au pire, il suffirait à une entreprise de provisionner suffisamment pour s’offrir à bon compte un droit à la contrefaçon, même manifeste. Pire, le montant de ces pénalités n’est pas une compensation du fait de ne plus pouvoir faire interdire les produits incriminés, mais se rattache au seul argument de dommages devenus impossibles à prouver. En clair, celles-ci risquent donc d’être revues à la baisse dans ce contexte, et non à la hausse. Se dessine donc un droit absolu à une nouvelle forme de “licence” de brevet, déguisée en pénalités judiciaires.
Au moment où Apple vient de revoir en profondeur son organigramme en plaçant le pôle R&D au même niveau de hiérarchie que ceux concernant les produits ou les interfaces, la perspective de ne plus pouvoir protéger efficacement ses prochaines innovations contre la copie doit être vécue comme un cauchemar éveillé. C’est cette raison qui il y a quelques jours a poussé Apple à demander d’urgence à la Cour d’appel du circuit fédéral de revoir exceptionnellement (voir lien ci-dessous), et dans le détail, les conclusions de la juge Koh, et c’est aussi sans doute ce qui a poussé Apple à accélérer le pas de la délocalisation d’une partie sans doute non négligeable de sa branche R&D.
Avec des brevets déposés en Chine, et au moment où le pays se montre, contrairement aux US, beaucoup plus intransigeant sur le droit des marques, Apple espère sans doute ainsi couper l’herbe des exportations d’un appareil concurrent qui se retrouverait en infraction de brevets sur le sol chinois. Au vu du nombre de fabricants ayant des usines d’assemblage en Chine (y compris Samsung), autant dire qu’Apple se dote d’un futur moyen de pression sur tout concurrent un peu trop sans-gêne.
Il n’est en effet pas difficile d’imaginer l’ampleur de la catastrophe si Apple sortait demain une nouvelle génération de batteries mobiles révolutionnaires et que celles-ci se retrouvent pourtant illico copiées et placées dans des smartphones concurrents, sous le prétexte juridiquement établi que la batterie d’un mobile n’est que la partie d’un tout et que ce seul élément ne peut à lui seul diriger les intentions d’achats des consommateurs.