Apple vers le grand écart
La communication de Cupertino a eu un impact particulier, sous le magistère de Steve Jobs. L’abandon de la 2e campagne switch prévue depuis plus d’un an signe aussi que les choses sont en train de changer pour Apple. Dans le sens positif.
Si l’on en croit ThinkSecret, Apple qui préparait une évolution de sa précédente campagne ‘Switch‘ -en prenant cette fois appui sur l’iPod- aurait décidé de jeter l’éponge. Programmée depuis plus d’un an, celle-ci devait mettre en scène un certain nombre de nouveaux venus au Mac, auparavant utilisateurs de Windows et que leur expérience[[leur histoire d’amour?]] avec l’iPod a conduit à préférer Apple.
En juin 2002, le constructeur californien avait déjà déployé un ambitieux plan de communication affiche, magazine et télévision, mettant en scène de “vraies gens” qui racontaient leur propre expérience vis-à-vis de Windows… ou plutôt ce qui les avait décidés à sauter le pas. Le volet télévisuel de l’offensive avait tout d’abord été lancé sur les réseaux câblés spécialisés, puis très grand-public, celle-ci étant définie par Apple comme sa campagne de publicité la plus importante depuis la fameuse “Think Different”.
Réalisés par Errol Morris un documentariste très en cour -lequel ne répugne pas à travailler à l’occasion pour la publicité- les spots avaient eu un retentissement certain, une lycéenne du nom d’Ellen Feiss avait fait même l’objet d’une vague d’engouement sur Internet sans précédent, qualifiée d’ellenfeissmania. Mais après le constat que la campagne ne fonctionnait pas (voir la chronique du 18 décembre 2002), celle-ci s’était vue cantonnée au seul site d’Apple, où elle est demeuré jusque récemment sur la section switch, avant que celle-ci ne soit réaménagée de fond en comble voici quelques jours, dans un premier temps sur le site américain.
Si le terme de “switch” a effectivement été efficace et est désormais synonyme de passage d’un système à l’autre, la campagne en elle-même est restée très en deçà des attentes du board de Cupertino en termes de conversions proprement dites, et peu significative en dehors du cercle des clients d’Apple par définition déjà convaincus ; celle-ci avait eu paradoxalement un effet remobilisateur sur les fidèles de la Pomme, quelque peu désemparés au moment des difficultés du PowerPC G4 à évoluer.
Une nouvelle campagne était donc programmée, prenant cette fois spécifiquement appui sur la dynamique iPod, ce que d’aucuns s’obstinent à catégoriser sous l’étiquette de ‘l’Effet de Halo’. Un appel en direction des ‘switchers‘ avait été lancé pendant plusieurs semaines sur le site d’Apple, ainsi que sur la page d’accueil de son navigateur. Le volet “télévision” de l’offensive définie par l’Agence Chiat/Day, déjà à l’origine de la précédente campagne Switch, mais aussi celle de 1984 et de Think Different, faisait appel au même Errol Morris -entre-temps primé à l’Académie des Awards– qui avait déjà signé la réalisation de la série diffusée à partir de juin 2002.
L’agence et le client avaient vu les choses en grand : 60 personnes, de 18 à 35 ans environ et venus de diverses cultures et horizons socio-professionnels, avaient été choisis parmi les volontaires, et mis dans un avion début mai pour tourner à Los Angeles. Morris en garda définitivement 30 pour devenir les nouveaux visages de la campagne, qui furent interrogés devant la caméra par le réalisateur, parfois pendant près d’une heure. Or supposés raconter “naturellement” l’expérience qui les avaient conduit de l’iPod vers le Mac, très peu en fait se révélèrent suffisamment à l’aise face à l’objectif, certains d’entre eux devant même être accouchés aux forceps si l’on en croit un témoin.
Des tensions entre Morris et les représentants d’Apple présents sur le plateau sont assez rapidement devenues perceptibles, selon plusieurs personnes qui assistaient également au tournage. Néanmoins, c’est à la surprise générale que l’annonce officielle de l’abandon du projet par Apple est tombée mercredi dernier. La campagne qui devait s’étaler -tout comme la précédente- sur les écrans de télévision, les panneaux d’affichage, les bus et la presse écrite était prévue pour être de très grosse ampleur. Or une quantité d’argent “incroyable” est partie en fumée à cette occasion. A titre d’exemple, chacun des ‘switchers’ a été payé 3 100 dollars pour sa journée de travail, quand au salaire minimum celle-ci n’excède pas 70 dollars (56 €) en Californie.
L’abandon pur et simple de la campagne prévue, 3 mois après la fin du tournage c’est à dire à la fin du montage et la présentation au client, ou plus probablement après la validation auprès un échantillon de public “test”, montre à l’évidence que celle-ci ne fonctionnait pas, ou plus. Le constat va au-delà de la simple mésentente entre le client et le réalisateur. L’expérience de celui-ci n’est pas en cause, et il a derrière lui un certain nombre de campagnes réussies, pour des marques de premier plan comme Nike, Quaker, Levi’s ou Cisco pour ne citer qu’elles.—–
Apple devant un nouveau carrefour stratégique
Avec le succès de sa stratégie musicale, Apple se retrouve -de nouveau (voir la chronique du 23 avril 2003) à la croisée des chemins, et n’a guère le droit à l’erreur en matière de communication à ce moment précis. Les succès de l’iPod et du Music Store on posé Steve Jobs et sa société non seulement en tant que leaders sur le marché de la musique numérique, mais peut-être aussi et surtout à la fois en tant qu’innovateur décisif, mais aussi -et c’est ce qui est nouveau- en tant que partenaire industriel capable d’imposer un standard de fait [[Encore faut-il que celui-ci veuille bien ouvrir son standard, à un moment ou à un autre…]]. Avec en perspective les “nouveaux territoires” que sont le marché de la video en ligne et le support du téléphone cellulaire.
Il saute désormais aux yeux que le climat est en train de changer, à la fois pour Apple et pour Microsoft. Un certain nombre de tendances que nous évoquions ici même l’été dernier sont en train de se manifester de façon beaucoup plus tangible : après le seul secteur du Supérieur (voir la chronique du 9 juillet 2004) , c’est le secteur de l’Enseignement dans son ensemble qui est désormais promis à La Pomme par les observateurs aux États-Unis, même si ses filiales britanniques et françaises ne sont d’ailleurs pas en reste. Après les grands comptes (voir la chronique du 9 août 2004), ce sont désormais les PME-PMI qui sont en ligne de mire à présent avec les “solutions métiers” mises en avant par Apple, et dont le secteur médical est un bon exemple (voir la chronique du 22 mars 2005).
Et si la perception des analystes a pu évoluer (voir la chronique du 7 décembre 2004), celui de l’utilisateur final est en train d’en faire autant. Paradoxalement, l’annonce du passage vers Intel -pour autant que celui-ci tienne ses promesses en termes de perspectives d’avenir- aura sans doute participé elle-aussi de cette légitimité retrouvée qu’Apple doit paradoxalement avant tout à OS X. Tout porte à croire qu’un dégel ne va pas tarder à se produire, et que le “pack” de la banquise Microsoft est désormais prêt à rendre dans les mois qui vont venir une partie du terrain qu’il occupait.
Dans ces conditions, Apple va désormais s’adresser aux “autres“, les “cousins-de-chez-Bill-en-face“, c’est-à-dire au plus grand nombre. La communauté des aficionados fidèles va devoir s’accomoder de voir sa firme-fétiche communiquer non pas sur un ton revanchard ou donneur de leçons, mais avec un discours rassembleur qui loin de stigmatiser l’acheteur dans son choix précédent de la plate-forme Windows, le rassurera dans les avantages à faire cohabiter les 2 systèmes… dans un premier temps, moins rupture que transition.
Mais ce qui sera assurément le plus dur à accepter, c’est que les nouveaux produits soient designés aussi pour attirer ces nouveaux arrivants, y compris par la remise en cause de choix technologiques qui participent de l’identitaire-même de la communauté Macintosh, comme à chaque extrémités de l’éventail le choix d’un processeur tout-sauf-Intel, ou celui d’une souris définitivement à 1 seul bouton. En fait, que La Pomme ne s’adresse plus seulement en priorité à ses fidèles. Il s’agira dès lors beeaucoup moins de ‘switch’ que de grand écart.
Petit plus MacPlus : l’agence Chiat/Day de San Francisco est à la recherche d’un Directeur de Création pour s’occuper du dossier d’Apple. Si le poste n’est pas sans écueils, il ouvre des perspectives d’évolution réelles, puisque Lee Clow qui surpervisait le compte au moment de la campagne ‘Think Different’ préside à présent aux destinées de la principale agence du groupe. La marque dont l’imaginaire s’est construit sur la thématique du “rest of us” réussira-t-elle la gageure de savoir s’adresser à tous?