L’attaque des Clones
La stratégie Apple depuis 1998 laisse-t-elle entrevoir un dessein secret, celui de prendre la place de Microsoft… et une revanche ?
La plate-forme Mac est en danger (refrain connu) et Steve Jobs tente de négocier au mieux un virage important, pour essayer de garder une place au soleil dans le secteur informatique, malgré une part de marché « réelle » plutôt anémique par rapport au parc de PC sous Windows installés. Le Mac de demain sera un « PC Intel » au niveau matériel, pour se repositionner encore plus largement. Cette décision doit attirer de nouveaux clients, c’est l’un des objectifs (avec celui de séduire les actionnaires, et celui d’être certain de jouer à armes égales, au niveau matériel, avec le monde Wintel). Cette dernière annonce, fait sans nul doute partie de cette stratégie de reconquête des parts de marché perdues, depuis les années 1984.
Mais Steve Jobs est-il revenu à la tête d’Apple avec un « projet secret », celui de prendre sa revanche en poursuivant la conquête entamée 21 ans plus tôt ? La décision de poursuivre le développement de Mac OS X sur une architecture x86 depuis le début de ce système en est-elle la preuve ?
Depuis 1998 deux choses essentielles, nouvelles, émanent de Cupertino : une ouverture homogène vers le monde informatique et une nouvelle stratégie de communication. À l’époque des premières Apple Expo, nous pouvions réellement parler de communauté, de clan, d’une tribu Apple qui aimait à se retrouver dans sa différence, sûre de détenir un certain « pouvoir » ou du moins l’excellence informatique incarnée par une machine « tout SCSI » et dotée de Mac OS (le Système, tel que nous l’appelions à l’époque). Le Mac a été longtemps un véritable objet de luxe vendu à un prix élevé. Ce fut un frein, entre autres, à son développement plus massif. Avec le retour de Steve Jobs aux commandes de l’entreprise, l’iMac G3 arrive et c’est un succès phénoménal après les années noires et la chute qui semblait inexorable de l’entreprise Apple. Des millions d’unités seront vendues, la firme de Cupertino revoit le soleil, enfin quelques rayons car tout n’est pas au beau fixe encore…
L’icône du Mac est désacralisée sur l’autel de la rentabilité avec une production délocalisée en Asie. Cet ordinateur monobloc est doté de ports USB, d’un disque dur EIDE, bref pour la première fois un Mac intègre bon nombre de composants « universels » moins chers. De plus, Apple se paie le luxe de démocratiser la connectique USB pourtant créée au départ pour les “cousins d’en face”, mais qui ne décollait pas. Microsoft est invité au même moment à déposer quelques millions de dollars pour renflouer la corbeille de la mariée et les ventes de Macintosh repartent à la hausse. Plus important encore : le décloisonnement obligatoire de la plate-forme Mac OS venait de débuter symboliquement. Le coup de balai était donné, il ne restait qu’à ramasser les poussières virevoltantes de ce grand ménage interne avec de fortes conséquences externes…
Les stocks sont une plaie pour la trésorerie Apple, les invendus font perdre de l’argent. Donc, elle passe à la vente en flux tendu. Le modèle commercial « Dell Computers » est adopté par Cupertino en même temps que se développe son AppleStore en ligne, outil indispensable à cette nouvelle stratégie de vente. Steve Jobs s’approprie une particularité commerciale usitée par un constructeur de PC. On continue ensuite à traquer les dépenses inutiles. Les grands rendez-vous traditionnels depuis quelques années (Macworld New-York, Boston, Tokyo et Apple Expo Paris, etc.) coûtent cher à Apple. Le retour sur investissement est désormais jugé non-rentable par la nouvelle équipe. Donc, on coupe les crédits, on se restructure et l’on change finalement la politique de communication. Tout au long de l’année ont lieu des sorties, des annonces majeures ou mineures afin de maintenir les ventes de produits Apple indépendamment des grand-messes.
Apple abandonne peu à peu ses méthodes de “fabricant d’objets de luxe” pour adopter celles des autres fabricants (tout en faisant tout pour préserver son image de “producteur de produits d’exception, avec des particularités soigneusement cultivées : Le culte du secret exacerbé (à la limite du ridicule dans certains cas), aucune roadmap lisible pour les actionnaires et les clients.—–
Premier test important pour le CEO Apple et ses équipes, le lancement du baladeur numérique, premier produit Apple (non logiciel) pour Mac & PC. Le succès iPod est arrivé rapidement – succès commercial pour un produit innovant qui a surtout révolutionné la perception d’Apple auprès du grand public en dehors des frontières traditionnelles de l’ex-communauté Mac. Véritable Cheval de Troie qui s’est octroyé plus de la moitié de parts de marché sur le créneau des baladeurs numériques. Incroyable, personne ne pouvait prévoir un tel engouement… sauf Steve Jobs peut-être. Cerise sur le gâteau, le lancement de la vente de musique dématérialisée via son magasin ITMS, et plus de 70% de parts de marché., alors que beaucoup de monde n’y croyait pas ou raillait la Pomme. C’est encore une fois un succès écrasant, encore de l’argent dans les caisses.
iPod a aussi permis à Steve Jobs de vérifier que les produits Apple pouvaient plaire à des clients estampillés « switchers potentiels ». Ces derniers représentent, quand même 95% des utilisateurs informatiques au niveau mondial, susceptibles de troquer leur PC contre un Mac. Ou plutôt, Windows contre Mac OS ? car cela pourrait bien être le but de Steve Jobs.
Point d’orgue à cette avant-dernière phase d’ouverture et de généralisation de Mac OS X auprès de tous les publics numériques : l’annonce par Apple d’intégrer des processeurs INTEL dans ses ordinateurs dès l’année 2006. Il est déjà presque acquis que Windows fonctionnera sur une machine Apple. Nous ne voyons pas clairement encore, l’ensemble possible des retombées et les conséquences sur les développeurs attachés à la Pomme. Il est possible que des « catastrophes » arrivent, comme perdre une partie de la communauté des développeurs désorientés, voire écoeurés.
Mais une chose est certaine : plus rien ne sera comme avant chez Apple car un des derniers verrous « hermétiques » qui l’enfermaient dans sa propre culture vient de disparaître.
L’adoption d’un processeur Intel au cœur des ordinateurs Apple n’est-il que l’avant-dernière étape de cette reconquête entamée en 1998 par le CEO de la Pomme ? Il fallait avant tout s’assurer d’une architecture capable de rivaliser avec les PC sur lesquels se trouve installé Windows. Le choix Intel est – évidemment -judicieux dans le sens où le fait que le fondeur soit le numéro un dans son domaine (en termes de vente processeurs du moins), permettra à Apple de connaître les mêmes évolution et déboires que les constructeurs du monde PC. Si Intel s’enrhume, tout le monde toussera et pas uniquement Apple obligée de s’inventer un «mythe du mégahertz» (pas forcément erroné, mais difficile à “vendre”). Le clone est prêt à partir à la conquête de nouvelles parts de marché.
Ce sera, si elle a lieu, la plus difficile : Celle de « libérer » Mac OS X en permettant potentiellement son installation sur tous les ordinateurs Mac & PC – ou du moins tous les ordinateurs “compatibles Mac”. Phil Schiller l’a encore répété : « Mac OS X ne s’installera pas sur un ordinateur qui ne sera pas un Mac ». C’est une logique commerciale de dire cela aujourd’hui. Il faut rassurer et attendre que la pression retombe. Cependant, Mac OS X sur un PC Dell, HP ou autre, pourrait être prochainement une réalité. Cela permettrait à Steve Jobs de toucher du doigt son rêve originel : être le numéro un mondial du logiciel avec le meilleur OS du monde informatique.
La phase d'”ouverture” de la technologie iTunes/FairPlay, qui devrait prochainement, via une politique de licences bien menée (donc rémunératrice), permettre à divers fabricants de proposer des lecteurs MP3/AAC “compatibles iTunes Music Store”, pourrait service de “répétition générale” à ce basculement stratégique : gagner de l’argent, non plus seulement par la vente de produits physiques (l’iPod dans un cas, le Mac dans l’autre), mais également par la vente de licences et de logiciels.
Le monde informatique de demain pourrait alors être bicéphale : d’un côté, le tout-venant, des ordinateurs compatibles Windows ; de l’autre, des ordinateurs fabriqués avec plus de soin, selon des spécifications précises imposées par Apple (contre redevance), compatibles Mac OS et Windows.
Est-ce là le rêve de Steve Jobs ?