Quand le chat fait la loi, les souris pensent
Ceux qui s’attendraient ici à une classique charge contre le bulldozer de Redmond risquent d’être un peu déçus. C’est au contraire les qualités de Microsoft et en particulier de son équipe Mac que je vous engage ici à étudier. Car, et nos Macs toujours présents en sont la preuve, ce sont celles-ci qui font d’un succès une institution, et des clients confiants autant de défenseurs ardents et actifs d’un produit.
Nous devons saluer Windows XP, pour le bien-être que cet OS va, espérons-le, apporter à ses millions d’utilisateurs, et que nous connaissons bien, pour l’avoir si souvent revendiqué. Comme son tout premier avatar s’était alors rapproché de l’approche graphique du Mac, Microsoft montre qu’elle prend d’une part bien mieux en compte la notion qualitative de l’expérience utilisateur, mais tente également une anticipation visionnaire et, pour une fois, d’être déjà là au moment où cela va se passer. On mesure là le chemin parcouru depuis la bourde de n’avoir pas cru à Internet, et peut-être l’impact en profondeur de longs et menaçants procès.
Mais que va-t-il se passer, au juste?
Pour nous l’avoir prédit, certains prophètes de l’avenir cyber valent leur pesant de ces astrologues qui nous ont bien fait rire. Aussi irai-je sans crainte de mon pronostic, d’autant qu’il est fondé sur la stricte observation de ce que les deux grands nous préparent.
Mais avant tout, je voudrais vous faire remarquer avec joie ce qui se passe là, maintenant, avec X et XP. N’est-ce pas cette idée généreuse de Steve Jobs, d’une informatique accessible à tous, y compris à un enfant de 4 ans, ce que SJ avait demandé à Alan Kay et à la toute première équipe Macintosh qui concevait alors le Finder. C’est bien ce rêve qui arrive enfin vraiment sur nos bureaux, et dans nos maisons, grâce aux progrès technologiques qui permettent sa réalisation. Le présent ne nous démontre t-il pas à quel point Jobs a eu raison, contre toute attente et toute adversité, de garder ce point de vue au coeur de sa démarche, au point de le faire persister à travers l’épisode NeXT ? Cela seulement, cette nouvelle étape de l’informatique que nous atteignons tout juste en montre la maturité enfin acquise, et reconnue. À quoi ressembleraient les ordinateurs d’aujourd’hui sans les efforts de Cupertino ? |
Cette informatique, bientôt en grande partie mobile et connectée passe depuis quelques années dans les moeurs du grand public. Conçue de moins en moins comme rébarbative, sortant des ordinateurs, elle s’insère peu à peu dans la culture populaire, celle qui touche au coeur des cibles, le fond affectif autant que les usages quotidiens. Là où elle était il y a encore peu signe d’appartenance à un groupe social, elle devient un produit de consommation courante qui s’étale sur les affiches et les rayonnages, entre poires et fromages.
De cette analyse, les réflexions des deux grands convergent. Là où Steve Jobs, après avoir expérimenté les iTools (j’y reviens), cherche à réinventer la capacité libératrice et créative de ses produits, Bill Gates entrevoit la croissance potentielle de son marché et étudie les moyens de l’emmener plus encore en captivité. Ils pensent, fatalement, l’un et l’autre, que le pas suivant sera l’extension online de l’ordinateur et de son activité. Steve en pressent le danger, la vulnérabilité de l’utilisateur face aux intérêts d’une grande entreprise. Il met donc en place les iTools, sous forme d’un outil à l’accès libre, en refusant d’exploiter selon le manque de lois du libéralisme mercatique cet accès direct à l’écran de l’utilisateur, dans son disque dur, son porte-monnaie et ses idées. Et il passe à autre chose.
Cette mise en contraste éclaire bien, de l’autre côté, la direction vers laquelle porte le regard clair de Bill. Ses iTools à lui, la stratégie .Net (prononcer dotNet, ne laissent aucun doute sur la volonté de Microsoft de s’aliéner ses utilisateurs malgré les déboires dus à son hégémonie. Le concept Passport, qui vise à remettre entre les mains de la marque le contrôle et la responsabilité de nos informations critiques centralisées, s’il semble dans un premier temps simplifier la vie de l’utilisateur, ne laisse pas d’inquiéter quand le cerbère est célèbre pour les failles de sécurité (volontaires ?) de ses produits. Merci qui pour le trousseau d’Apple stocké en local ?… Et que font toutes mes adresses mail précieusement retranscrites dans les préférences d’Internet Explorer ? Mais si je suis assez idiot pour utiliser ce navigateur et aussi Entourage parce que ces logiciels me conviennent, de quoi ai-je à me plaindre ? |
Dans cette stratégie de Redmond, la qualité des développements en direction du Mac n’apparaît pas due uniquement à la motivation des équipes de la MBU (Macintosh Business Unit, le département Mac de Microsoft, dirigée par Kevin Browne.) devant Aqua et CodeWarrior, mais comme une pièce du grand jeu du pouvoir contre la liberté du public, pardon, du peuple. Cet investissement, et ses productions, Explorer carbonisé et Office X, occupent presque sans recours le terrain chez nous pauvres utilisateurs.
Réjouissons-en nous, tout cela est très beau et apparemment marche bien. Mais méfions-nous en, car c’est un véritable cheval de Troie installé sur nos machines, par lequel, aussitôt relié à son pendant online qu’est le portail Mactopia (Site Microsoft du Mac, prochainement en français sur nos écrans…), la vision du monde selon Bill Gates pourra enfin se déployer comme il l’aime sur nos machines et notre public. Et c’est plus grave que France Telecom et Vivendi réunis, à mon humble avis, jeunes gens… Combien d’utilisateurs naïfs ou esthètes fonceront-ils tête baissé dans la gueule d’un loup peu scrupuleux pour lui confier leur identité numérique ? Combien perdront ainsi un peu plus ce libre arbitre si durement acquis ? Qui pourra leur communiquer, au milieu de tout cela, ce petit quelque chose d’infiniment sain qui persiste encore aujourd’hui dans le monde de la Pomme, fondé sur des valeurs de qualité, de partage, de respect d’autrui, de bien-être personnel et collectif. Qui notera que le succès de Mactopia permettra enfin à Bill Gates de récupérer, par la bande, la confiance insolente de ses utilisateurs acquise à juste titre par Apple, et qu’il n’a jamais pu obtenir des siens ?
Bien sûr, tout cela n’est pas simplement bleu ou bleu-vert. Les logiciels cités apportent une réelle valeur ajoutée à nos Macs, et Apple compte bien sur cette « osmose » que vous découvrirez bientôt sur les affiches d’Office X pour imposer son nouvel OS et doper ses ventes, au risque de perdre, après un peu de son capital (rappelons que, à peine un mois après le retour, en 1997, de Jobs au cœur de la pomme, Microsoft est entré dans la capital d’Apple à hauteur de 150 millions de Dollars), un peu de son âme… Mais cette âme, justement, n’est-ce pas nous, utilisateurs attentifs aux enjeux sociaux que le business masque, qui la représentons en comprenant l’idée dont le Mac est la magistrale réalisation ? Penser différemment, les temps qui courent nous le rappellent cruellement, risque de ne bientôt plus suffire. Il va aussi falloir faire savoir en quoi et pourquoi cette différence est salutaire, pour tous…
Quant à Steve, qui décidément ne se sent pas d’enfiler la peau de Big Brother, il commence à semer des graines d’Apple peu à peu autour de nous, à la façon d’un joueur de Go. Peu à peu, la force visionnaire de son hub numérique dans lequel le Mac et son noyau QuickTime sont à la croisée de tous nos besoins multimédia, non pas pour les récupérer, mais pour leur trouver des réponses confortables, inventives, et libératrices, se révèlera comme un nouveau pas important dans l’utilisation de l’électronique pour faire de demain un monde meilleur. Et n’est-ce pas pour cela qu’on y est venu, au monde ? On dirait bien que c’est ce que Steve Jobs, qui mérite déjà bien sa place parmi les grands hommes de ses affiches (et, à mon humble avis, un prix Nobel de la paix des utilisateurs…), ne se lasse pas de nous rappeler. Merci à lui et attention à vous.
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