Apple et l’enseignement : une renaissance ?
L’Éducation nationale va se trouver au cœur des changements gouvernementaux dans les prochains mois. Le Mac peut-il aider à l’amélioration des performances du système éducatif ?
Jean-Luc MICHEL est Professeur des universités en sciences de la communication et Directeur du Master de stratégie de communication globale de l’Université Jean Monnet [Erratum : de Saint-Etienne]. Il est également le concepteur du plan Informatique Pour Tous (IPT) originel que nous avons déjà évoqué (voir la chronique du 14 novembre 2005) et dont il a retracé la genèse sur son site Passion Apple (voir la dépêche du 9 avril 2006).
L’Éducation nationale va se trouver au cœur des changements gouvernementaux dans les prochains mois. Réduction des postes de fonctionnaires, souci d’améliorer les performances globales du système éducatif et désir de revaloriser les rémunérations.
Comment s’y prendre pour concilier des objectifs aussi antagonistes ?
Si l’on cherche à résoudre cette équation à moyens équivalents, on n’y parviendra jamais. Il faut une vision nouvelle de l’enseignement. Cette vision consiste à recourir massivement aux ordinateurs dans toutes les tâches éducatives, à tous les niveaux et dans toutes les disciplines. Seule l’informatisation globale pourra résoudre le défi du 21 ème siècle, celui de la connaissance. Elle augmente la productivité et l’efficacité, elle diminue les coûts et libère du temps pour les activités les plus intelligentes. Elle nous permettra de ne pas nous appauvrir dans la compétition mondiale où la formation et la créativité deviennent des enjeux majeurs.
A la question de savoir si l’informatique peut s’attaquer à des contenus d’enseignement, forcément « nobles et intelligents », soit disant non formalisables, on peut opposer les meilleurs programmes informatiques que nous connaissons tous : Est ce vraiment plus difficile de programmer l’apprentissage de la conjugaison, des mathématiques de base ou des langues que de traiter du montage vidéo, de la création sonore, de la retouche photo, mais aussi de toutes ces machines pilotées par des systèmes experts comme les boites de vitesse automatiques proactives, la cybernétisation des interfaces les plus complexes, les échecs ou les jeux informatiques de dernière génération ?
Dans ce recours à l’informatique, quelle est l’interface la plus adaptée aux moins bien formés, aux plus démunis ou aux plus dépendants ? Nécessairement la meilleure, c’est-à-dire celle du mac, qui facilite l’apprentissage et rend plus créateur son utilisateur. Il fut un temps où Apple France, en développant des actions en faveur des personnes handicapées, déclarait qu’il s’agissait, grâce à une bonne interface, de pouvoir faire faire des choses ordinaires à des gens extraordinaires. Cette idée n’est-elle pas au cœur des préoccupations actuelles qui permettraient de remotiver des exclus du système éducatif ? Et de rendre les enseignants plus efficaces, plus heureux en augmentant leur rayonnement ? (Cf le site de l’auteur)
L’ordinateur à l’école, c’est aussi les réseaux locaux ou internationaux, et depuis Applecare des années 80 jusqu’aux possibilités de Tiger ou de Leopard, rien n’est plus facile que de transmettre toutes sortes de fichiers sans perdre de temps à apprendre des protocoles aussi abscons qu’obsolètes. Ce qui compte, c’est le contenu que l’on veut transmettre, pas les lubies des informaticiens !
On pourrait poursuivre longtemps sur les avantages concurrentiels du mac en matière d’usages pédagogiques, mais mieux vaut repérer ses défauts, ne serait-ce que pour y remédier.
D’abord le coût, même si ce critère n’est ni pleinement justifié ni pertinent. Les macs actuels ne sont pas loin des prix planchers de l’informatique, et des commandes en nombre pourraient encore les abaisser. Il suffit de voir les conditions consenties aux écoles ou universités américaines pour s’en faire une idée. Les logiciels essentiels sont compris, surtout pour ce qui est créatif. iLife est très suffisant, et fait l’envie de beaucoup d’enseignants qui travaillent sur une plate-forme de type PC. Un effort devrait être fait sur iWork (pour le moment sans tableur) qui reste payant même s’il se situe très en dessous des tarifs de Microsoft. Quant à ce dernier, s’il voulait s’aligner, pourquoi pas ?
La faiblesse de l’offre du mac tient dans le manque d’ouverture vers des systèmes externes, des interfaces de laboratoire, des capteurs de toutes sortes, en physique, en biologie, etc. C’est de ce côté que des efforts importants devraient être réalisés pour ne pas paraître trop faible face au PC (c’est vrai qu’un MacIntel est un PC, mais nul n’est sûr que les bidouilles d’interfaçage fonctionnent). Il y a des progrès à accomplir, rendus faciles par la décision stratégique géniale d’Apple de changer de processeur.
Le dernier grand domaine où des progrès importants restent à effectuer est celui des logiciels éducatifs ou didactiques spécialisés. Mac et PC sont proches vu que l’offre est quasi inexistante en France, réduite à du pseudo « ludique ». Un grand projet d’informatisation, via des commandes publiques assorties de cahiers des charges précis – élaborés par des bons spécialistes – redynamiserait le secteur du logiciel éducatif qui n’a jamais été rentable en France (quand il n’a pas failli faire disparaître des éditeurs scolaires de renom, n’est-ce pas Hatier, n’est-ce pas Magnard ?).
C’est le problème essentiel : comment concevoir, produire et rentabiliser de tels produits ? Doivent-ils être fermés ou paramétrables par les utilisateurs, enseignants ou élèves ? Comment doivent ils évaluer les performances des apprenants ? Quels doivent être leurs modes de fonctionnement en réseau, leur degré d’ouverture, les modes de représentation des connaissances, etc. ?
Plus généralement, sur quelles stratégies éducatives faut-il développer de tels systèmes ?
Les réponses sont, pour la plupart déjà connues : mais comme d’habitude en France, on les ignore, on les oublie parce qu’elles dérangent, elles sont trop en avance. Connaissez vous Elmo de l’Association française pour la lecture, développé dans les années 70 et 80 par Jean Foucambert, chercheur au CNDP (la version actuelle s’appelle Elsa) ? C’était le seul logiciel de grande valeur disponible au moment du plan IPT (Informatique pour tous, en 1984). Il a été ignoré de la valise de programmes par les brillants décideurs de l’époque, inféodés à des éditeurs qui voyaient une concurrence gênante d’un mauvais œil. Elmo était un fantastique programme d’apprentissage de la lecture, adaptable à toutes sortes de publics, fonctionnant en individuel ou en groupe, enregistrant toutes les interactions pour servir de base à une auto-amélioration (heuristique) de la programmation. Bref, une merveille dès sa création. Où en serait-il aujourd’hui s’il avait bénéficié de budgets aussi importants que les jeux pour se développer ?
Mais il n’y a pas que la lecture. TOUTES les disciplines sont concernées, y compris la littérature ou la philosophie. La « rupture » s’impose.
Le dernier (et le seul) grand plan informatique remonte à 1984 avec le plan Informatique pour tous, surnommé plan Fabius, du nom de son fossoyeur, qui, avec la complicité active de Jean-Pierre Chevènement mit tout son talent à empêcher les ordinateurs américains d’envahir le marché français… pour aboutir à un immense fiasco et à un gaspillage incroyable d’argent public.
En 1982, le signataire de cet article (et premier concepteur de ce plan IPT) s’adressait aux nouveaux dirigeants politiques en leur conseillant de s’engager dans la voie d’une éducation médiatique recourant aux technologie de l’intelligence. En dépit de l’enthousiasme de la plupart des acteurs, rien ne se fit. Aucune leçon de cet échec magistral ne fut tirée, Apple s’implanta en Irlande plutôt qu’en Bretagne et l’attrait pour l’ordinateur à l’école disparut des esprits.
Aujourd’hui, il se peut que les circonstances politiques et économiques nous poussent à reposer ces questions compte tenu des évolutions techniques et psychologiques actuelles (réduction des budgets, recherche d’efficacité, etc.). Va-t-on enfin réussir à le moderniser ce vieux système éducatif français, ou va-t-il mourir au profit de systèmes concurrents et payants ?
IPT était né de la rencontre des idées ou des rêves de quelques personnes, on était dans une logique descendante. Aujourd’hui, le net va peut-être montrer au ministre de l’Education et au président de la République qu’il y a de la volonté, du talent et de l’enthousiasme pour fonder l’école du 21 ème siècle, l’école de la connaissance.