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Prospective

Chochotte Biz

Bien qu’en essor exponentiel depuis plus de trente ans, le music business accuse durement le coup du numérique, si facile à produire et à reproduire à l’infini. Mais si les règles du jeu changent, c’est peut-être la rançon d’une politique coercitive de contrôle absolu du marché. Le P2P, de ce point de vue, apparaît comme la réponse, certes dure à entendre mais bien réelle, du berger à la bergère trop exigeante…

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Bien qu’en essor exponentiel depuis plus de trente ans, le music business accuse durement le coup du numérique, si facile à produire et à reproduire à l’infini. Mais si les règles du jeu changent, c’est peut-être la rançon d’une politique coercitive de contrôle absolu du marché. Le P2P, de ce point de vue, apparaît comme la réponse, certes dure à entendre mais bien réelle, du berger à la bergère trop exigeante…


Les maisons de disques ont la mémoire courte, si ce n’est une absurde mauvaise foi. Ceux qui, dans le années soixante et soixante-dix ont vécu les phénomènes simultanés de l’explosion de la musique rock et de l’arrivée de la cassette audio peuvent en témoigner. Avant cette invention, la vague des yé-yé avait fait les beaux jours des maisons de disque, avant quelques spécimens pas trop zazous ne rejoignent ce qu’on appelait alors la variété. À l’horizon de 70, de nombreux artistes aujourd’hui nantis de disques en tous les métaux possibles, n’étaient, à de rares et notables exceptions près diffusés sur les ondes des radios (loin d’être encore libres) et de la télévision. Il faut rappeler à nos plus jeunes qu’alors, le rock, comme certains aspects du hip-hop aujourd’hui, représentait un enjeu culturel majeur pour toute une génération, et que les mœurs politiques de l’époque, bien que post-soixante-huitarde, étaient plus portées à juguler l’insolence qu’à en sourire. Pourtant, ce péril jeune, que l’on craint mais ne comprend pas très bien (oui, oui, cela vous rappelle bien quelque chose), achète alors suffisamment de disques pour que son marché vive, que l’on trouve les disques au supermarché du coin si l’on avait pas de bon disquaire, et ce pratiquement sans autre promotion que le bouche à oreille et une poignée de magazines. Suffisamment, en tout cas, pour éveiller chez les maisons de disques cet appétit, devenu depuis boulimie de profits, et qu’elles ont aujourd’hui tant de mal à réfréner.

Et bien entendu, cet effet de nombre doit alors beaucoup à l’alternative économique que représente la récente « K7 », pour une population traditionnellement peu nantie, mais dont les dépenses sont essentiellement consacrées aux loisirs. Le plaisir d’écouter une chanson n’a jamais été contradictoire avec le fait d’avoir le disque, qui représente une valeur ajoutée (qualité, pochette, objet collectionnable et cadeau). Et le mécanisme d’une taxe sur les supports vierges amenuise honorablement et sur le principe le préjudice subi par les artistes. Loin d’avoir étouffé la musique, cette nouvelle capacité de reproduction lui avait au contraire donné un nouveau souffle, celui de l’explosion d’un marché inattendu à la croissance exponentielle. Le phénomène se reproduit à chaque fois qu’arrivèrent de nouvelles technologies comme le walkman[[Pour lequel le PDG de Sony, alors, n’a pas hésité à prendre un risque industriel pour une idée de l’un de ses proches, avec le succès que l’on connaît…]] la vidéo, le CD, inaugurant la nouvelle ère, la nouvelle manne, du numérique.

Dans cette démultiplication des moyens de diffusion, mais aussi de l’offre et de la demande de contenu, les maisons de disques n’ont pas fait dans la plus grande finesse. Mieux encore que la réédition d’anciens albums déjà largement rentabilisés en CDs au prix fort, la compilation a été l’idée géniale des années 80 et 90. Ça n’est pas cher[[On économise des frais de production, les artistes touchent moins, on se « prête » gratuitement des titres d’une maison de disques à l’autre…]], et ça rapporte gros, avec un méga budget télé, coco. Au détriment, il est vrai, de la création, sans parler parfois de la qualité, mais les chiffres parlent[[Et rendent l’État complice, maintenant la TVA au prix fort, et à présent taxant tout ce qui a de la mémoire…]], et l’on pense déjà bien plus à la prédation de concurrents et à la capitalisation boursière vertigineuse. Du moment que le peuple achète, c’est à dire désire[[Les Star Academy et équivalents, sont le nec plus ultra du marketing musical : faire (semblant de faire) choisir au public ce qu’il achètera avant même d’avoir écrit une note !…]]…

Les énormes bénéfices générés, étendus aux autres marchés typiquement adolescents ou jeunes adultes (informatique, jeu, cinéma, habillement…), le pouvoir médiatique des budgets de publicité qu’ils permettent d’engager, la concentration systématique des entreprises du secteur a mené à la situation telle que nous la connaissons désormais. Quelques empires financiers se partagent un marché dans lequel ils entendent bien continuer à fixer les règles selon leur intérêt jusqu’à la fin des temps du dollar. Quelques empires d’un poids socio-économique supérieur à celui de nombreux pays au monde, ce qui semble légitimer à leurs yeux la faiblesse de s’en compter parmi les maîtres.

Les majors suivent en effet une logique qui leur est propre, renforcées dans leur conviction par le fait d’avoir su, en se mobilisant rapidement, ne pas rater la vague du hip-hop, nouveau bingo. Elles ne rencontrent cependant pas le même succès avec la techno, dont les artisans sont généralement prévenus contre leurs méthodes commerciales à outrance, et préservent jalousement leur parcours underground des tentations financières. Ce mouvement reste d’autant marginal, et n’inquiète pas l’industrie du disque autant que la reproduction libre.

Seulement, Internet abolit la frontière spatio-temporelle classique qui nous régit, et ses acteurs économiques ont donc perdu leurs repères car ils ont cru pouvoir aller plus vite que la musique… C’est par ces mots que MacGregor conclut son article de décembre 2000, dans lequel il s’interrogeait sur la maturité de la net-économie. Cette fracture culturelle qu’il relève entre acteurs et utilisateurs d’un marché émergent dans la période critique où il tombe entre les mains des gestionnaires, au prix souvent de l’esprit de ses fondateurs, nous la connaissons bien. Et si nos édiles prennent soudain conscience de la façon dont un tel phénomène affecte jusqu’au champ politique, je ne puis que rejoindre les avisés analystes de JMM[[Jupiter Media Metrix, pas l’ex-autre, justement…]] dans leur conseil aux majors de revoir complètement leur copie. En s’interrogeant tout d’abord honnêtement sur les raisons de la désaffection des consommateurs vis-à-vis de leurs produits.

Peut-être alors leurs brillants stratèges prendront-ils conscience que ce phénomène, qu’ils qualifient de piratage, n’est guère que celui d’une régulation naturelle, la réponse spontanée (puisque la technologie le permet) à leurs propres excès, gage peut-être de la survie d’un marché qu’ils saturent de tapage et de mépris. Mais c’est bien vite oublier[[Nous aurons fait l’effort, le temps de cet article, aux majors de faire celui de se mettre, un instant, à notre place…]] que la musique est au cœur même de nos vies, que nous ne laisserons jamais tomber les artistes dont le travail nous est quotidiennement nécessaire. Or Internet permet plus que jamais l’établissement d’un lien direct entre les uns et les autres. Sans intermédiaire devenu inutile.

 Ce cauchemar, Charles Cros merci[[Et merci aussi pour tous ceux qui, envers et contre tout, préservent et prolongent la nature et l’éthique de ce qui est un bien beau métier…]], et l’analyse de Jupiter MM nous le rappelle fort à propos, tient encore largement de l’utopie. Nous ne sommes encore que modérément disposés (et équipés) pour que la duplication numérique menace les majors plus que les chutes de la bourse. Comme dans tout commerce, si le service ou le produit est à la hauteur des attentes du consommateur autant que de sa bourse, le consommateur consommera, il adore ça. Néanmoins, il est à parier que s’il considère (à juste titre ou non) que ceux qui sont censés permettre et soutenir le développement de la musique vivante, puisque c’est leur rôle et l’argument du prix élevé de leur intervention, il s’intéressera de près aux alternatives libres et gratuites. Puis il ira acheter quelques titres directement à Prince ou à Bowie, ou auprès du petit label dont le site rappelle à chaque instant[[Comme autrefois, le disquaire du coin…]] que tout, dans cela, n’est affaire que de vocation, d’émotion, et de respect mutuel. Cela fait partie du plaisir, cela mérite quelques Euros, cela est le petit secret entre artistes et public que l’industrie du disque aimerait bien connaître, bien qu’il puisse un beau jour lui rester au travers de la gorge. C’est qu’il aura alors fallu faire sans la voix de son maître.

Les Majors au rapport (Première partie)
Enquête en kit (Liens)

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