Chochotte Biz
Bien qu’en essor exponentiel depuis plus de trente ans, le music business accuse durement le coup du numérique, si facile à produire et à reproduire à l’infini. Mais si les règles du jeu changent, c’est peut-être la rançon d’une politique coercitive de contrôle absolu du marché. Le P2P, de ce point de vue, apparaît comme la réponse, certes dure à entendre mais bien réelle, du berger à la bergère trop exigeante…
Et bien entendu, cet effet de nombre doit alors beaucoup à l’alternative économique que représente la récente « K7 », pour une population traditionnellement peu nantie, mais dont les dépenses sont essentiellement consacrées aux loisirs. Le plaisir d’écouter une chanson n’a jamais été contradictoire avec le fait d’avoir le disque, qui représente une valeur ajoutée (qualité, pochette, objet collectionnable et cadeau). Et le mécanisme d’une taxe sur les supports vierges amenuise honorablement et sur le principe le préjudice subi par les artistes. Loin d’avoir étouffé la musique, cette nouvelle capacité de reproduction lui avait au contraire donné un nouveau souffle, celui de l’explosion d’un marché inattendu à la croissance exponentielle. Le phénomène se reproduit à chaque fois qu’arrivèrent de nouvelles technologies comme le walkman[[Pour lequel le PDG de Sony, alors, n’a pas hésité à prendre un risque industriel pour une idée de l’un de ses proches, avec le succès que l’on connaît…]] la vidéo, le CD, inaugurant la nouvelle ère, la nouvelle manne, du numérique.
Dans cette démultiplication des moyens de diffusion, mais aussi de l’offre et de la demande de contenu, les maisons de disques n’ont pas fait dans la plus grande finesse. Mieux encore que la réédition d’anciens albums déjà largement rentabilisés en CDs au prix fort, la compilation a été l’idée géniale des années 80 et 90. Ça n’est pas cher[[On économise des frais de production, les artistes touchent moins, on se « prête » gratuitement des titres d’une maison de disques à l’autre…]], et ça rapporte gros, avec un méga budget télé, coco. Au détriment, il est vrai, de la création, sans parler parfois de la qualité, mais les chiffres parlent[[Et rendent l’État complice, maintenant la TVA au prix fort, et à présent taxant tout ce qui a de la mémoire…]], et l’on pense déjà bien plus à la prédation de concurrents et à la capitalisation boursière vertigineuse. Du moment que le peuple achète, c’est à dire désire[[Les Star Academy et équivalents, sont le nec plus ultra du marketing musical : faire (semblant de faire) choisir au public ce qu’il achètera avant même d’avoir écrit une note !…]]…
Les majors suivent en effet une logique qui leur est propre, renforcées dans leur conviction par le fait d’avoir su, en se mobilisant rapidement, ne pas rater la vague du hip-hop, nouveau bingo. Elles ne rencontrent cependant pas le même succès avec la techno, dont les artisans sont généralement prévenus contre leurs méthodes commerciales à outrance, et préservent jalousement leur parcours underground des tentations financières. Ce mouvement reste d’autant marginal, et n’inquiète pas l’industrie du disque autant que la reproduction libre.
Seulement, Internet abolit la frontière spatio-temporelle classique qui nous régit, et ses acteurs économiques ont donc perdu leurs repères car ils ont cru pouvoir aller plus vite que la musique… C’est par ces mots que MacGregor conclut son article de décembre 2000, dans lequel il s’interrogeait sur la maturité de la net-économie. Cette fracture culturelle qu’il relève entre acteurs et utilisateurs d’un marché émergent dans la période critique où il tombe entre les mains des gestionnaires, au prix souvent de l’esprit de ses fondateurs, nous la connaissons bien. Et si nos édiles prennent soudain conscience de la façon dont un tel phénomène affecte jusqu’au champ politique, je ne puis que rejoindre les avisés analystes de JMM[[Jupiter Media Metrix, pas l’ex-autre, justement…]] dans leur conseil aux majors de revoir complètement leur copie. En s’interrogeant tout d’abord honnêtement sur les raisons de la désaffection des consommateurs vis-à-vis de leurs produits.
Peut-être alors leurs brillants stratèges prendront-ils conscience que ce phénomène, qu’ils qualifient de piratage, n’est guère que celui d’une régulation naturelle, la réponse spontanée (puisque la technologie le permet) à leurs propres excès, gage peut-être de la survie d’un marché qu’ils saturent de tapage et de mépris. Mais c’est bien vite oublier[[Nous aurons fait l’effort, le temps de cet article, aux majors de faire celui de se mettre, un instant, à notre place…]] que la musique est au cœur même de nos vies, que nous ne laisserons jamais tomber les artistes dont le travail nous est quotidiennement nécessaire. Or Internet permet plus que jamais l’établissement d’un lien direct entre les uns et les autres. Sans intermédiaire devenu inutile.
– Les Majors au rapport (Première partie)
– Enquête en kit (Liens)
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