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Prospective

Apple et Sony : un partenariat ?

Quand Steven Milunovich, analyste chez Merril-Lynch, a laissé entendre qu’Apple et Sony pourraient développer prochainement des projets communs, l’action AAPL a bondi de près de 20 dollars.

Ormerry

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L’un des éléments qui a poussé cet homme, exerçant un métier où la pondération est une vertu cardinale, à lancer un “bruit de couloir” propre à enflammer les marchés boursiers, est une visite, officiellement “de courtoisie”, de Kunitake Ando, directeur général de Sony, à la dernière MacWorld.

Ce n’était pourtant pas la première fois que des rumeurs de rapprochement entre les deux sociétés circulaient – on a même évoqué régulièrement, depuis le début des années 90, la possibilité d’un rachat d’Apple par Sony. Si cette dernière hypothèse semble actuellement écartée – Kunitake Ando, a déclaré, pince-sans-rire, (et juste avant d’être démis de son poste, ce qui n’a sans doute aucun rapport) qu'”Apple était devenu trop cher en raison du succès de l’iPod”, un partenariat plus ou moins serré n’est évidemment pas exclu.

Les deux compagnies ont en commun de nombreuses activités, sur lesquelles elles sont plus ou moins en concurrence, telles la vente de musique en ligne, la fabrication de baladeurs numériques ou la conception d’ordinateurs – en particulier portables – plutôt haut de gamme ; elles partagent également le fait d’évoluer dans des marchés – la haute technologie et les media – où des alliances stratégiques bien menées sont souvent décisives pour prendre une longueur d’avance sur la concurrence.
Même si, répétons-le, une alliance entre les deux compagnies n’est actuellement qu’une hypothèse, nous pouvons examiner dans quels secteurs elle pourrait se nouer.

Des téléviseurs “compatibles Mac” ?

L’un des domaines de collaboration envisagé par Steven Milunovich serait une convergence entre les Mac et les téléviseurs Sony, avec la fabrication d’une gamme de téléviseurs “connectables” au Mac, sans doute via une liaison sans fil et le protocole Rendez-Vous (rebaptisé “Bonjour” dans les prochaines versions de Mac OS X). Le principe en serait le même que celui d’AirPort Express : un film lu sur le Mac serait diffusé par une liaison WiFi à 54 Mbps (802.11g), et immédiatement visible sur le poste de télévision. Il pourrait s’agir des DVD lus par le Mac, ou plus probablement de fichiers codés en H264, format sur lequel Apple comme Sony sont en pointe. La télécommande du téléviseur pourrait être livrée avec un petit récepteur USB connectable (physiquement) sur le Mac, et alors piloter les fonctions de son lecteur vidéo – qu’il s’agisse du lecteur QuickTime, du lecteur DVD ou d’un “iTunes amélioré” diffusant aussi bien les fichiers audio que vidéo. L’existence de ce type de téléviseurs contribuerait à placer le Mac toujours un peu plus au centre du “hub numérique” si cher à Steve Jobs.

Si l’existence future de ces téléviseurs est envisageable, elle pourrait d’ailleurs ne pas être que le fruit d’une collaboration ponctuelle entre Apple et Sony, mais une simple composante d’une stratégie plus globale que nous examinerons plus loin.—–

Le processeur Cell ?

IBM (fournisseur, on le sait, des processeurs des Macintosh), développe, en partenariat avec Toshiba et Sony, un processeur PowerPC 64 bits dénommé Cell. Les premiers prototypes atteignent actuellement les 4 GHz, et la future PlayStation 3 devrait être équipée de quatre de ces puces. Rien n’indique formellement que les futures machines d’Apple puissent être bâtie autour de ce très prometteur processeur (ou de ses déclinaisons), même s’il est probable que, du côté de Cupertino, on s’affaire à adapter les “couches basses” de Mac OS pour en tirer partie. Le Cell (ou un processeur de la même famille) constitue l’un des axes possibles de l’évolution des processeurs Apple : peu gourmand en énergie, cadencé à plus de 4 GHz, raisonnablement puissant et surtout très modulable, puisque pouvant travailler en “groupe” de 2, 4, 8 (ou plus) dans un même ordinateur.

Si Apple devait adopter le Cell, il pourrait le faire, dans un premier temps, dans deux buts stratégiques distincts : tout d’abord, proposer des XServe multiprocesseurs (à 4, 8, ou 16 Cell) à monter en clusters, afin de proposer des infrastructures de calcul distribué peu coûteuses, propres à séduire les universités et les laboratoires de recherche. L’opération serait évidemment prestigieuse, mais assez peu lucrative, les volumes de vente étant forcément limités.

En revanche, il n’est pas exclu qu’Apple travaille, en collaboration avec Sony, à l’élaboration d’un ordinateur grand public d’un type un peu spécial, prévu pour 2006 : bâti autour de 4 (ou 8 ?) Cell, dôté, comme la PS3, d’un lecteur blu-ray (dont Apple vient de rejoindre le consortium), ainsi que d’une carte graphique nVidia à base de NV50 et d’un chip spécifique fourni par Sony, il offrirait évidemment toutes les possibilités d’un Mac, mais permettrait également… d’utiliser tous les jeux PlayStation sur Mac.

Sony, qui touche des droits sur chaque jeu PlayStation vendu (mais vend ses consoles à prix coûtant), y trouverait son compte, s’assurant des débouchés et des revenus supplémentaires ; pour Apple, ce serait évidemment l’assurance d’offrir à ses utilisateurs une logithèque conséquente et de bonne qualité qui lui fait cruellement défaut dans son entreprise de séduction de l’utilisateur (en particulier du switcher) et de conquête de parts de marché.

La musique ?

Apple et Sony sont actuellement deux des leaders incontestés de la vente de fichiers musicaux en ligne, avec, respectivement, l’iTunes Music Store et Connect. Mais alors que l’iTunes Music Store est à peu près rentable, Connect patine : ses parts de marché restent faibles, et il propose des fichiers au format ATRAC-3, lisibles uniquement sur les baladeurs Sony – baladeurs récemment réestampillés “WalkMan” afin de profiter de la notoriété du mythique lecteur de cassettes.

Afin de rompre son isolement technologique, Sony pourrait envisager une gestion “croisée” des formats. On peut ainsi imaginer que les iPods puissent lire l’ATRAC, en plus de l’AAC, du MP3 et du WMA, et que les WalkMan se mettent eux aussi à l’AAC (le dernier téléphone Walkman W800 Sony Ericsson ne suporte d’ailleurs pas l’ATRAC, mais le MP3 et… l’AAC). Celà permettrait à SonyConnect de tenter d’attirer les millions de possesseurs d’iPod, et de tenter de repousser les Napster, RealNetworks, OD2 et autres concurrents.

Reste que l’on voit mal pourquoi Apple accepterait ce genre de marché, à part pour tuer dans l’oeuf d’éventuels procès pour abus de position dominante, ou à moins que ce “deal” ne fasse partie d’un accord plus vaste. Surtout, cette “ouverture croisée” des baladeurs numériques des deux compagnies au magasin en ligne de l’autre nécessiterait un accord sur le système de gestion des droits numériques (DRM), accord peu évident à trouver si l’on considère qu’Apple refuse de vendre la licence du sien (baptisé FairPlay), et que Sony appartient à la Digital Living Network Alliance, groupe de travail visant à unifier les DRM (probablement sous un système © Microsoft), qu’Apple (et RealNetworks) ont refusé de rejoindre.

Une autre hypothèse envisageable, quoiqu’assez peu probable, pourrait être une absorption de Connect par l’iTunes Music Store : Sony pourrait ainsi continuer à vendre des baladeurs MP3/AAC ayant accès à une vaste discothèque en ligne, sans s’embarasser de la gestion multilingue et de la réactualisation constante de boutiques musicales en ligne ; de son côté, Apple pourrait bénéficier du catalogue musical Sony à des tarifs éventuellement préférentiels, et capterait de nouveaux clients potentiels pour l’iTMS, asseyant sa domination sur la distribution musicale en ligne.

Enfin, Sony et Apple pourrait envisager de se répartir les tâches : à l’un (sans doute l’iTMS), la vente de fichiers musicaux, à l’unité ou par album ; à l’autre la vente par abonnement mensuel ou annuel, sur le modèle de Napster ou Microsoft : l’internaute, une fois versée sa soulte, peu télécharger un nombre illimité de fichiers musicaux – lesquels cesseront tous d’être utilisables si l’abonnement n’est pas renouvelé.—–

Un iTunes Movie Store ?

S’il est un domaine qui, logiquement, doit succéder à la distribution en ligne de fichiers musicaux, c’est bien de celui de… la distribution en ligne de fichiers vidéo. Tous les acteurs du secteur y pensent, avec autant de fascination (pour les profits potentiels) que d’effroi (pour les moyens financiers à y consacrer).

Alors que des sociétés de moyenne envergure (telle la FNAC) pouvaient envisager de mettre en place une structure de téléchargement musical, seuls des “mastodontes”, voire même des troupeaux de mastondontes, sont en mesure de gérer l’ensemble des contraintes logistiques liées à la vente de films en ligne.

Quand un fichier musical est encodé à 128 kbps, un film exige au minimum 2 Mbps pour offrir une qualité acceptable (en MPEG-2), ou 512 Mbps en H264, ce qui nécessite des plate-formes de téléchargement capables de débiter plusieurs gigabits par seconde.
Alors qu’un titre musical, une fois encodé, peut être vendu partout dans le monde, le film devra être décliné en de multiples versions doublées ou sous-titrées .
Les dates de mise en vente des films devront être différentes selon la localisation de l’acheteur, en fonction des dates de sortie en salle et des réglementations locales [[Ainsi, en France, un film ne peut théoriquement être commercialisé en DVD ou en cassette, et a fortiori en ligne, que douze mois après sa sortie en salle ; des dérogations permettent d’avancer cette commercialisation à six mois. Ailleurs en Europe, divers accords interprofessionnels fixent également une durée minimale entre la sortie (nationale) en salles et l’exploitation vidéo, de durées égales, en majorité, à six mois]].
Les volumes de vente seront sans doute bien moindres que pour la musique (au moins en unités, si ce n’est en valeur).
les grandes compagnies cinématographiques sont a-priori encore plus suspicieuses que les majors du disque vis-à-vis de la vente de leurs productions sous forme “dématérialisée” ;

Techniquement, on observe une fort convergence des deux sociétés. Elles sont tout d’abord les principaux promoteurs du format de compression H264 (issu du MPEG-4). Sony l’utilise dans la PSP, sa console de jeux portable – qui peut ainsi se transformer en lecteur vidéo portatif, commence à le proposer dans ses lecteurs DVD de salon, et l’intègre systématiquement dans ses lecteurs blu-ray . Apple, de son côté, travaille d’arrache-pied pour intégrer le H264 dans QuickTime 7 et Mac OS X Tiger, et pouvoir ainsi l’utiliser dans l’ensemble de ses logiciels – iMovie, Final Cut et pourquoi pas… iTunes. Apple, tout comme Sony, souhaitent faire de ce format “le MP3 de la vidéo”, le voir supplanter le divX et surtout… écrabouiller la norme (propriétaire) de Microsoft, le WMV9.

Apple et Sony possèdent tous deux un argument marketing de taille : la notoriété. Le lancement d’un “iTunes Video Store” délivrant des films lisibles sur la PSP, la Playstation 3, l'”iPod vidéo” et les lecteurs de salon Sony, ainsi que sur les ordinateurs équipés d’un “iTunes vidéo” (eux-même capables de l’afficher sur un… téléviseur Sony amélioré que nous évoquions plus haut), ferait du H264 – et du système de gestion des droits numériques associé – un standard incontournable, et obligerait la concurrence, soit à investir massivement, soit à se rallier – moyennant royalties.

Que gagneraient Sony et Apple à collaborer sur un tel projet , outre la mutualisation de coûts de mise en place ?
L’alliance de ces deux grands, apportant dans la corbeille de mariage, pour l’un – Apple – son excellence sur la distribution de media en ligne et ses ressources technologique dans la gestion de la compression vidéo et de la DRM ; pour l’autre, son omniprésence sur le marché de l’électroménager de loisirs, et un catalogue de centaines de films ; devrait logiquement aboutir à les voir constituer, main dans la main, la plate-forme de téléchargement vidéo de référence.

Et… ?

On le voit, les axes de collaboration possible entre Apple et Sony ne manquent pas. Mais si, aux points de vue technologiques et stratégiques, une alliance offensive des deux sociétés est largement envisageable, reste à savoir si elles souhaiteront se lier, et avec quel degré d’étroitesse. Les discussions entre les directeurs se poursuivent, et peuvent aboutir, soit à des projets grandioses, soit à l’élaboration de quelques gadgets, soit, évidemment… à rien. Les hypothèses envisagées ci-dessus s’avèreront-elles audacieuses prophéties ou fumeuses élucubrations ? A défaut de pouvoir répondre immédiatement à cette question, nous aurons, je l’espère, clarifié les diverses pistes de la “collaboration possible entre Apple et Sony” qui a affolé le Nasdaq.