Apple, challenger d’un nouveau type
1998 fut une grande année pour Apple, au même titre que 1984. L’entreprise mythique inventeuse du premier véritable micro ordinateur, moribonde depuis 1995, est de nouveau très performante. Cette performance avant tout financière est la conséquence d’un management parfait. Mais Apple est désormais bien plus qu’une entreprise rentable : elle s’impose aussi comme une alternative d’un nouveau type au PC sous Windows. Analyse du renouveau et perspectives d’avenir.
Première étape : un management parfait pour une rentabilité maximum
– Une situation de départ catastrophique.
Steve Jobs est à mon sens le manager de l’année. Rappelé aux commandes d’Apple en 1997 sur demande de Gil Amelio, l ‘éternel entepreneur (Apple, Next, Pixar) a redressé l’entreprise en moins d’un an et lui a insufflé une nouvelle dynamique de développement. Le pari du seul redressement était osé : Apple avait cumulé 1,9 milliard de dollars de pertes en 1996 et 1997, les collaborateurs avaient perdu toute volonté d’innovation, les ventes de Mac et les logiciels adaptés à la plateforme diminuaient considérablement (seuls les Mac-maniaques achetaient encore Mac !), les politiques marketing étaient inexistantes et comble de tout, le Macintosh n’avait plus les qualités qu’on lui reconnaissait auparavant, face à un Windows en progrès.
– Décisions drastiques.
Jobs, dès son retour avec le statut de PDG (CEO) par intérim, impressionne tant il semble mener une stratégie précise et obstinée. Il confie aujourd’hui qu’il n’en avait pas réellement, mais qu’il tentait de suivre le modèle néo-classique de l’entreprise : une entreprise est un tout organique au sens où chaque rouage, même minime, est important. Si toutes les décisions, à leur échelle, sont rationnelles, l’organisme retrouve alors un équilibre général issu de l’agrégation de rouages sains et tous fonctionnels.
Ainsi, on peut aujourd’hui distinguer cinq décisions majeures de Jobs à cette époque :
1- Arrêt des clones Macintosh (fabriqués entre autres par PowerComputing, Motorola et Radius) qui ont un effet inverse à celui souhaité : plutôt que d’accroître la présence d’Apple sur le marché, les clones lui grignotent des parts grâce à une meilleure puissance et des prix plus attractifs. Apple est donc contraint de racheter PowerComputing qui disposait d’une licence exclusive plus longue que les autres constructeurs.
2- Arrêt de toutes les activités jugées non rentables à court terme : imprimantes (au regret des utilisateurs), appareils photos numériques, et MessagePad, cette dernière branche étant la plus déficitaire et ce malgré les qualités techniques de l’appareil. Seule la division écran est conservée en raison de sa profitabilité relative et de l’avancée technologique d’Apple dans ce domaine.
3- Toujours suivant l’objectif de rentabilité, rénovation et simplification de la structure administrative. L’équipe dirigeante est renouvelée et restreinte, le management est recentralisé, et l’entreprise licencie en masse. Capitaliste, certes, mais nécessaire pour ne pas disparaître.
4- Création d’une grille ‘Produits’ de base : cette grille part du principe qu’il y a deux marchés dans la micro (grand public et professionnels) et deux types d’ordinateurs pour chacun des marchés (fixe et portable). Ainsi, on obtient quatre produits de base : le iMac (voir ci-après) et le PowerMac G3, le PowerBook G3 et le ‘iMac Portable’. Seul ce dernier manque à l’appel, mais il apparaîtra prochainement*. Les modèles de base sont déclinés en fonction des caractérisitiques de chaque composant (processeur, mémoire, disque, etc.). Cette simplification a deux atouts : elle procure une nouvelle image à la marque (modernisme, accentué par la nouvelle charte graphique, et simplicité) et réduit considérablement les coûts de fabrication (même composants, même matériaux, etc.).
5- Rénovation du circuit de distribution : seuls les revendeurs les plus fidèles aux moments noirs sont conservés. Ces revendeurs doivent en outre réaliser 70% de leur chiffre d’affaire avec le monde Apple pour rester agréés . Aux Etats-Unis, Apple s’appuie aussi sur des grands réseaux de distribution (CompUSA par exemple) grâce à des partenariats exceptionnels (création de mini Apple Stores dans les grands magasins avec vendeur spécialisés). Cette formule est aussi pratiquée en France à la FNAC, avec un succès relatif.
Deuxième étape : renouer avec l’innovation et devenir le challenger d’un nouveau type
– Innovation
Nous avons vu que le premier objectif était uniquement celui de la rentabilité. En passe de réaliser cet objectif (Apple passe doucement du ‘rouge au noir’ ainsi qu’on le dit aux USA), Jobs décide de faire emprunter une nouvelle voie à son entreprise : la voie de l’innovation. Car après les décisions rationnelles, il faut être capable d’innover et de procurer à l’entreprise une nouvelle dynamique de développement, même si certains projets ne sont pas rationnels (l’iMac : voir ci-après). Car en dépit de sa santé financière correcte, la convalescente continue de voir ses parts de marché s’effriter .
Le PDG par intérim, accompagné de son équipe produit, choisit alors une orientation pour le moins surprenante en micro-informatique : le design. Ce mot deviendra la clé de voûte de l’ensemble des nouveaux produits. J’entends par design non seulement une esthétique recherchée mais aussi une parfaite harmonie apparence-conception technique-système d’exploitation, donnant naissance à des micro-ordinateurs destinés à des public ciblés. Apple est la seule marque à maîtriser encore l’ensemble du processus de production d’une machine, et Jobs entend jouer cette carte à fond. Apple sort donc ses premiers PowerMac G3, prévus depuis longtemps par les équipes précédentes. La firme renoue avec les créateurs publicitaires du passé (Voir L’Essentiel du Management de ce mois-ci pour un historique de la publicité Apple) : les annonces comparatives ravageuses qui accompagnent les G3 aux Etats Unis font un tabac ; en France, Apple, en dehors du même magnifique spot (primé) sur les grands hommes du XXe siècle, n’ose qu’un message très séduisant mais très réducteur (les publicités comparatives sont autorisées en France, mais peu pratiquées en raison de la très faible tolérance du Bureau de Vérification de la Publicité)
Pub agressive + puissance + bonne conception : ça marche. Les chiffres de vente sont très bons, Apple réduit ses pertes, diminue ses stocks, gagne la confiance du NASDAQ (marché technologique américain) et devient donc rentable. Il est désormais temps de montrer la nouvelle voie adoptée.
Premier lancement spectaculaire : les PowerBook G3. Apple, réputée pour ses portables, séduit les acheteurs avec ces machines puissantes et élégantes. La presse à son tour se met aux éloges.
Apple fait ensuite un grand coup et sort l’iMac. Un prix révolutionnaire dans le monde Apple, en dessous de la barre psychologique des 10.000 F (1.524,49 Euros) qui plus est, un look moderne et agréable, une forme séduisante (monobloc) et des caractéristiques techniques très généreuses dans cette catégorie de prix en regard des précédents G3. Le petit dernier affiche clairement les nouvelles ambitions d’Apple. Cependant, l’iMac est cher en comparaison de la concurrence, non-évolutif et design (ce qui est jusqu’alors peu habituel dans l’informatique) : il semble aller à contre-courant du marché. Qu’importe : la sortie de la luciole est orchestrée de la meilleure façon qui soit, grâce à un subtil mélange de révélations et de secrets gardés. La campagne de publicité joue en effet sur trois attentes majeures du grand public : simplicité, puissance et Internet. L’iMac fait un carton dans le monde entier, même en France, pays pourtant réputé pour son refus de l’innovation technologique. Le micro ordinateur d’un nouveau type booste véritablement le lancement des nouveaux produits USB, norme encore peu utilisée. Mais aussi et surtout, l’iMac symbolise le retour de la marque à la conquête de parts de marchés : débutants et utilisateurs de Wintel achètent la machine. Conséquence logique, les éditeurs annoncent le développement de leurs logiciciels pour Mac, même les jeux ! Aussi incroyable que cela puisse paraître, le Mac est en passe de devenir une plateforme de jeux.
Troisième lancement majeur : Mac OS 8.5. Après un Mac OS 8 déjà beaucoup plus efficace que la série 7.x, ce nouveau système est une évolution majeure : meilleure gestion de la mémoire, meilleure stabilité, interface plus agréable, simplicité de la gestion de l’Internet et enfin et surtout, Sherlock. Apple introduit Internet à son environnement de façon complètement différente de Microsoft (voyez dans Windows 98 la complexité de l’interface utilisateur et la confusion engendrée dans les esprits !), et les utilisateurs aiment. Ce moteur de recherche ultra-performant est aussi un coup de pub gratuit pour Apple : de nombreux sites adoptent en affichant ‘Plug-In Sherlock disponible’ sur leur page d’accueil. Imaginez la réaction des utilisateurs PC découvrant qu’ils ne peuvent installer Sherlock sur leur machine censée être 100% compatible !
Quatrième lancement majeur : les nouveaux Power Mac G3. Racés, surpuissants, superbes, ils ont des chances de séduire tout le monde avec leurs prix revus à la baisse. Accompagnés d’écrans tout aussi design et de très grande qualité, les néo G3 vont séduire les graphistes et professionels du multimédia en tous genres avec leurs performances incomparables (ATI Rage 128, accélérateur graphique, bus à 100 Mhz, FireWire). Seul regret : l’absence de SCSI en standard. Cette norme est toujours très présente chez les professionnels. Ils devront acheter une carte supplémentaire, ce qui rend l’ensemble un peu plus coûteux.
Un challenger d’un nouveau type. Perspectives d’avenir
On peut conclure de tous ces lancements qu’Apple ‘n’en finit pas de tourner la page’, comme j’ai pu le lire dans SVM Mac. Apple redevient donc le challenger, l’alternative.
Mais pas une simple alternative : Apple est devenu le challenger d’un nouveau type. A l’époque où Apple était en bonne santé (en termes de parts de marchés), on donnait le choix Apple ou PC à tous les publics.
Aujourd’hui, seuls les amoureux du design, de la performance et de la simplicité se tourneront vers les machines estampillées de la pomme devenue bleu bondi (et myrtille, et fraise, et …). Ceux qui aiment la complexité d’un système comme Windows laisseront le Mac de côté. Les ménages qui préfèrent l’évolutivité au design choisiront un Aptiva plutôt qu’un iMac.
Apple, avec ses machines au design très moderne et adoptant des normes d’avenir en avance sur les autres, se prive de toute une clientèle, et ne garde que les avant-gardistes. Je connais de nombreuses personnes qui ont/vont acheter l’iMac uniquement pour son design, prétextant qu’en outre la présence de cette machine chez eux les conduira doucement à l’informatique. Et ça, j’aime ! C’est nouveau dans le monde de la micro-informatique, trop obscur, trop laid, trop fermé aux novices, aux agacés des technologies qui ne fonctionnent pas. Apple démystifie l’informatique et la rend belle est design. Que demander de mieux ?
On peut demander encore plus de simplicité, de facilité d’action. Encore moins de technologies rébarbatives, de fastidieuses mises-à-jour, de pénibles réglages. Apple doit être le moteur d’une informatique nouvelle et accessible à tous. Elle est sur cette voie, comme l’a confié Jobs au magazine Fortune. Jobs veut faire d’Apple le Sony de l’informatique, en apportant au grand public comme aux professionnels les technologies les plus avancées et cela de la façon la plus simpe qui soit. Il reste que pour être accessible à tous, il faudrait baisser encore un peu les prix. Mais ça, c’est pour un prochain article sur Macplus.net !