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Prospective

Apple et les DJeuNZ`

De “Think Different” à “Switch”, quel est l’impact des campagnes de communication d’Apple sur sa cible ? Et les cousins d’en face, que font-ils dans le genre ?

Boro

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doc-1982.jpg La campagne “Switch” d’Apple est la plus grande offensive de la Pomme en termes de communication depuis celle marquant le lancement de l’iMac en 1998, du moins aux Etats-Unis.
Prenant le strict contre-pied de la très remarquée “Think Different” où étaient simplement montrées des images d’archives de personnalités marquantes du XXème siècle, censées incarner une certaine indépendance d’esprit parce qu’ayant eu le courage d’aller à contre-courant de la pensée dominante [[suivez mon regard]], la campagne actuelle est portée à la fois par ce qu’une certaine intelligenzia appelle de “vraies gens” et par des personnalités en vue, V. I. P. comme utilisateurs de base expliquant par le menu pourquoi ils ont finalement abandonné Windows pour passer au Macintosh, le tout sur un fond blanc, avec une absence totale de mise en scène.

doc-1983.jpg Dans l’esprit des publicitaires et de la marque, il s’agissait probablement d’être au plus proche des gens, en leur parlant de leurs préoccupations concrètes et de l’utilisation quotidienne de leur matériel.
Or, il s’avère que les résultats sont plus mitigés que ceux auxquels on aurait pu s’attendre ; en particulier et
contre-intuitivement à ce que la “Ellen Feiss mania” aurait pu laisser penser, c’est auprès des jeunes de 18 à 25 ans que le rejet est le plus important, pour près d’1 sur 2 (47%). Mieux, c’est avec des Séniors (+ de 65 ans) que ce taux de rejet est le plus faible avec seulement 4%.

Il serait pourtant un peu hâtif de conclure que la compagnie qui tous produits confondus rafle le plus d’awards en matière d’innovation et de design est devenu une marque de “vieux“, ou du moins ayant vieilli en même temps que ses premiers aficionnados comme ont pu le faire tel distributeur de biens culturels ou tel voyagiste naguère précurseur dans son domaine… D’autres résultats à l’intérieur de la même étude sont encourageants : près de 18% des consommateurs interrogés par Ad Track pour le vote hebdomadaire d’USA Today déclarent “aimer beaucoup”, toutes tranches d’âges confondues et sans différence singnificative entre les deux sexes ; la sous-population qui aime le plus est celle des 30 à 39 ans à 23%, c’est à dire encore relativement jeune tout en étant susceptible d’occuper des postes de responsabilité et décision en matière de choix d’équipements. Une fois rentrée chez elle, cette clientèle potentielle est même une des plus convoitées par l’industrie technologique, qu’il s’agisse de Double Income No Kids [[Deux salaires pas d’enfants, catégorie socio professionnelle à revenus plus importants et sans enfants à charge, consacrant à leurs loisirs un veritable pactole pour l’industrie, une fois leur situation professionnelle établie]] ou de jeunes parents, un enfant même à l’école maternelle étant de plus souvent en plus avancé comme une des motivations à l’achat d’un ordinateur [[même si la tendance actuelle se corrige vers un mariage et un premier enfant plus tôt]]. La campagne semble ainsi malgré tout remplir ses objectifs : selon Apple, près de 4 clients sur 10 de ses magasins de détail n’avaient jamais possédé de Mac auparavant, dans un marché américain pourtant proche de la saturation.

doc-1998.jpgNéanmoins, les résultats contrastés de l’enquête d’USA Today donneront sans doute à réfléchir aux stratèges d’Apple : s’il est vrai que d’une façon générale ce ne sont pas tant les taux d’adhésion ou de rejet qui comptent pour évaluer une campagne de communication mais plutôt le taux de reconnaissance du produit, ce taux de rejet massif pose au moins question chez des jeunes de plus en plus courtisés par les publicitaires, voire prescripteurs dans tout ce qui touche de près ou de loin le domaine des NTIC, et dans la mesure où ce qui différencie Apple de ses concurents c’est justement l’adhésion au produit.

Plusieurs types d’explications peuvent être avancées : le retour de plus en plus marqué d’un certain conformisme chez les adolescents venant renforcer en l’espèce l’attachement traditionnel aux valeurs du groupe de pairs [[si mes potes sont sur XP et echangent des programmes Windows, faire le choix d’Apple serait prendre le risque de m’exclure du groupe]], leur mefiance instinctive vis à vis de tout ce qui pourrait constituer une tentative de récupération et le rejet [[qui peut sembler paradoxal avec ce qui précède, je sais mais c’est précisément ce paradoxe du rejet/adhésion qui est sinon à la base, du moins très largement constitutif de la construction de la personnalité]] de tout ce qui était identificatoire auparavant, pour peu qu’il semble être passé dans les media de masse et dans reste du corps social : il suffit que quelque chose soit identifié comme culte pour qu’il soit abandonné dans l’instant voire stigmatisé comme “been” [[un contre-effet Ellen Feiss en quelque sorte]]. Or, la publicité est précisement à la fois grande consommatrice et accélératrice de ce genre de phénomène, dans la mesure où elle les disqualifie dans le même temps qu’elle se les approprie [[comme une cannette de Cola commence à s’éventer et à s’oxyder dès qu’elle est ouverte]]… De plus, comme le glisse MacDaily News, si une pub vous disait que vous aviez englouti quinze-cents euros gagnés à la sueur de votre front dans une vraie daube, est ce que vous diriez spontanément que vous aimez cette pub-là? En fait, on peut y voir aussi à l’oeuvre ce que les psycho-sociologues appellent la théorie de la cohérence interne, et qui conduit de nombreux individus à justifier voire à théoriser a posteriori une décision qui c’est révélé être une erreur, puis à persévérer dans une direction qui de toute évidence conduit sinon à l’impasse du moins réduit considérablement les perspectives… [[Cf note1]]

doc-1989.jpg doc-1990.jpg A contrario, la campagne télévisée actuelle d’Intel est significative à cet égard et caresse les ados dans le sens du poil : on y trouve une collection de stéréotypes d’un conformisme bêlant, avec des mecs qui glandent, font de la musique quand ils ne copient pas de CD pirates tandis que les filles bossent et accessoirement se font draguer ; le personnage qui fait l’ouverture du spot “digital day” ressemble à une caricature de Sammy dans le film et le dessin animé ScoobyDoo… Si les adultes, parents et grands parents, sont présents c’est uniquement dans un second temps/plan et là pour faire des photos et des T-shirts des petits, le tout sur un fond musical familier dont les références sont données sur la page qui abrite les video de la campagne sur le site web du fondeur. Il s’agit de se poser clairement comme un pôle identificatoire, et Intel s’adresse aux adolescents avec leurs codes de ce qui les intéresse en priorité : eux.

doc-1985.gif En tout état de cause, cette étude marque les difficultés et les limites de toute campagne globale de communication, en même temps qu’elle en dit long sur la culture de l’entreprise et sur sa façon de se “vendre”. Si Cupertino s’intéresse vraiment à cettre tranche d’âge, il serait alors necessaire de savoir ce qu’il en est de l’image de la marque proprement dite… Apple est d’ores et déjà à même de communiquer plus spécifiquement dans sa direction, par le biais de produits qui l’interessent plus particulièrement comme l’iPod ou les jeux par exemple… C’est exactement ce qui est fait sur la page digital hub de l’Apple Store mais plus seulement au fin fond d’une boutique en ligne… D’une façon plus générale, la marque qui symbolise depuis 25 ans la contre-culture et qui se caractérise par une forte cohésion communautaire, construite elle aussi en réaction avec le modèle informatique dominant, a une carte à jouer auprès des ados. Les réactions d’amour/haine de la communauté Macintosh vis à vis du père fondateur Jobs sont en elles-mêmes très… adolescentes sur bien des aspects 😉

Mais les deux campagnes sont aussi paradigmatiques de la façon dont les deux mondes se vivent et s’adressent au public : depuis toujours Apple met en avant orgueilleusement [[même si c’est très souvent à juste titre]] son produit, là où Wintel s’adresse au client en lui racontant ce qu’il a envie d’entendre ; cette fois encore, là où Apple propose simplement de changer d’ordinateur parce que le sien est meilleur, Intel lui propose aux adolescents rien moins que les aider à réaliser leurs aspirations, voire à les surpasser… C’est un tout petit peu le monde à l’envers, vous ne trouvez pas? 😉

USA Today
Un-mac-oui-mais-pour-faire-des-trucs
La campagne “Switching to Mac” d’Apple
La campagne “Digital” d’Intel