Un comité Théodule pour la fibre ?
Ira-t-on jusqu’à la mise en place d’une “faculté d’accès à la fibre”, sur le modèle du “droit à l’antenne” pour la télévision ? C’est l’une des mesures envisagées par le ministère de l’Économie pour accélérer le déploiement de l’Internet à Très Haut Débit…
Ira-t-on jusqu’à la mise en place d’une “faculté d’accès à la fibre”, sur le modèle du “droit à l’antenne” pour la télévision ? C’est l’une des mesures envisagées par le ministère de l’Économie pour accélérer le déploiement de l’Internet à Très Haut Débit, en guise d’apéritif à la mise en place d’un “Comité de pilotage du très haut débit”. Le dossier est en effet présenté par Bercy comme l’équivalent du déploiement du réseau téléphonique français dans les années 60.
Reste qu’en l’absence d’un effort particulier d’imagination des protagonistes, on risque d’en rester une nouvelle fois au stade des incantations et des vœux pieux, sur fond de constitution d’un véritable oligopole sur le secteur.
Christine Lagarde et Hervé Novelli ont annoncé peu avant la trêve des confiseurs la mise en place d’un comité de pilotage du très haut débit, qui regroupe des représentants des opérateurs et équipementiers de télécommunications, des collectivités territoriales, des promoteurs, des constructeurs, des syndics de copropriétés, des utilisateurs ainsi que des “personnalités qualifiées”. La ministre et son secrétaire d’État ont d’ores et déjà présenté un certain nombre de mesures concrètes pour faciliter le déploiement des réseaux à très haut débit, notamment en réduisant les coûts d’installation et en permettant de renforcer la R&D ou le développement des usages. Également dans le collimateur, la mutualisation des travaux de génie civil et la coordination des travaux sur la voie publique, sans oublier le déploiement des réseaux dans les zones d’activités économiques. En septembre 2004, France Télécom avait notamment annoncé une enveloppe supérieure au milliard d’euros sur la période 2003-2007, consacrée au déploiement du très-haut débit destiné aux entreprises dans les Zones d’Activité (voir la dépêche du 13 septembre 2004).
Entre autre pistes défrichées par Bercy, mais également par le Ministère de l’Écologie du Développement et de l’Aménagement durable, le Ministère du Logement et l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, on va trouver le pré-équipement des immeubles neufs, la création d’une « faculté d’accès la fibre », prolongement du « droit à l’antenne », la garantie de la mutualisation des réseaux internes aux immeubles de logements et l’obligation de conclure des conventions entre propriétaires et opérateurs.
Rien de bien neuf au demeurant : la mutualisation des gaines d’immeubles avait été préconisée par la mairie de Paris au tout début 2007, celle des ouvrages de génie civil encouragée par l’ARCEP au printemps de cette même-année et l’apposition d’un énième label “d’intérêt tous public” pour faire bon poids ne saurait en soi apporter le début du commencement d’une réponse efficace : chacun des grands opérateurs français a adopté une technologie différente de ses concurrents pour le raccordement de l’utilisateur final : Fiber To The Home dédié, partagé, Fiber To The Building ou Fiber To The Last Amplifier…
Or en en l’absence de la mise en place d’une norme commune – éventualité de moins en moins probable au fur et à mesure que débutent les exploitations commerciales – ce sont les clients qui vont en définitive une fois de plus payer le déploiement des infrastructures… quitte à payer plusieurs fois pour leur redondance si celui-ci décide un jour de changer de FAI. Et l’on parle même pas de la pétaudière technologique que recouvre le terme attrape-tout de “très-haut débit”, avec les disparités dans les performances et la qualité du service qui lui sont assorties et que les clients – pardon, les “consommateurs” ont déjà connu avec les offres ADSL des années 2002-2003 que les FAI qualifiaient sans vergogne de “haut-débit”, à partir de 128 kb/s…
Quant au déploiement du gros-œuvre, c’est-à-dire de la fibre elle-même et des nœuds de raccordement optique, les fournisseurs d’accès capable d’avancer la mise de fonds nécessaire à l’entrée dans le club “fibre optique” ne sont pas légion : Orange-France Télécom, Free, Neuf Cégétel et Numéricable se sont d’ores et déjà lancés dans une frénésie de câblage qui n’est pas sans rappeler – toutes proportions gardées – la pose du chemin de fer transcontinental aux États-Unis… à ceci près que les propriétaires des tuyaux comptent bien se refaire en en proposant l’accès à leurs concurrents, moyennant la facturation d’un prix de gros. De là à dire que le quarteron restant parmi les fournisseurs d’accès cherche à se constituer une pelote, pour ne pas dire une rente de situation…
Ainsi, après la municipalité parisienne qui a vu contester par Orange la légitimité des 260 hots-spots de Paris WiFi, c’est le Conseil Général des Hauts-de-Seine qui voit remis en cause son Réseau d’Initiative Publique de déploiement de la fibre optique à l’échelle du département. Mais derrière la contestation de la subvention accordée avec la Délégation de Service Public pour le déploiement du THD 92, c’est bien la maîtrise des tuyaux et de la rente que celle-ci confère qui est encore une fois en jeu dans les zones rentables comme peut l’être le département le plus riche de France : le partenariat public-privé pour la résorption des “zones d’ombres“ du haut-débit passé entre France-Télécom et la Région Auvergne, ou la Délégation de Service Public pour le réseau Haut / Très Haut Débit du Limousin sur les départements de la Creuse, de la Haute-Vienne et de la Corrèze n’ont a priori pas fait l’objet de beaucoup de recours…
Pourtant le meilleur (ou le pire) est sans-doute à venir : après les 35% du capital de Numéricâble, le câblo-opérateur français devenu unique à force de concentrations et de rachats successifs, Carlyle le fond d’investissement à la réputation méphitique aurait de l’aveu-même de ses dirigeants tourné ses appétits vers Free la filiale d’Iliad, désormais singulièrement esseulée par la politique de rachats de Neuf son principal concurrent. En l‘absence d’un réel effort d’imagination, avec par exemple la généralisation des Délégations de Service Public à l’échelle des régions, on voit mal ce qui pourrait empêcher à terme la constitution d’un “cartel de la fibre”, avec les dérives qu’a pu connaître la distribution de l’eau ou la téléphonie mobile. La prochaine phase de déploiement des infrastructures, qui concerne les réseaux dits “pervasifs” (WiFi, WiMax), et que vont nécessiter les générations de gadgets ultra-mobiles dont l’iPhone est la préfiguration ne manquera sans-doute pas d’intérêt…