EMI et Apple enterrent les DRM…
Les deux sociétés ont annoncé la disponibilité du catalogue d’EMI, dès le mois de mai, en qualité Hi-Fi. C’est la précipitation d’un certain nombre de changements qui est d’ores et déjà programmée. Explications…
La conférence de presse commune donnée par Eric Nicoli et Steve Jobs, respectivement CEO d’EMI Group et d’Apple Inc, aura duré un tout petit peu moins d’une heure, retard et questions compris : il n’en a fallu pas moins pour annoncer le prochain bouleversement majeur dans l’Histoire de l’industrie musicale et signer par la même occasion le 2e acte de naissance de la musique en ligne, après le 28 avril 2003.
Les deux sociétés viennent en effet d’annoncer la mise à disposition de l’intégralité du catalogue de la Major britannique en mai d’abord sur l’iTunes Store, non seulement débarrassée de ses DRM, mais également disponible dans une qualité Haute Fidélité à peu de choses-près équivalente à celle du CD, c’est à dire en 256 kb/s. Enfin, si les morceaux ainsi “dopés” et débarrassés de leurs DRM seront vendus à l’unité à un tarif supérieur (1,29$, 1,29€ ou 0,99 £), le prix des album restera lui inchangé. Mieux : les clients gardent la possibilité de continuer à acheter de la musique selon l’ancien modèle, mais bénéficient également de la possibilité de “mettre à niveau” les morceaux qu’ils avaient déjà acheté sur le Store, moyennant la seule différence de prix entre les 2 qualités c’est à dire 0,30 $, 0,30 € ou 0,20 £ par morceau. Ce faisant, les deux compères ont adressé un message clair à toute une série d’interlocuteurs, et qui avait déjà été résumé de façon lapidaire par Brassens il y a près d’un demi-siècle :
“Le temps ne fait rien à l’affaire…”
… et celui d’abandonner les DRMs est maintenant venu, c’est-à-dire de changer de pratiques.
… et accessoirement aux associations de consommateurs ou d’utilisateurs du logiciel libre qui, en Europe et dans une moindre mesure aux États-Unis, renâclaient de plus en plus devant le lien prétendument fusionnel entre l’iPod et les fichiers musicaux vendus sur l’iTunes Store. Jobs l’a rappelé au cours de la conférence, il a toujours été possible de transférer des morceaux achetés sur iTunes et protégés par FaiPlay sur un autre support ou un autre baladeur, via un transfert au format CD. Mais il s’agit en l’espèce de prouver “la bonne foi” d’Apple en la matière, qui s’est toujours efforcé de baser sa pratique commerciale sur l’intérêt de la clientèle. Encore fallait-il trouver un interlocuteur pour cela.
On peut d’ailleurs faire crédit au californien d’avoir adopté un rôle pionnier dans l’adoption d’une forme légale de musique numérique, grâce à son attitude volontariste en matière de tarifs, de restriction d’usage avec les DRM longtemps les plus à l’avantage du public, ou d’abondance du catalogue. Le plus souvent d’ailleurs contre ses interlocuteurs du secteur musical, et c’est bien dans ce sens qu’il faut lire l’hommage appuyé rendu par Eric Nicoli au début de la conférence, pour présenter Steve Jobs.
Le discours des dirigeants de EMI, avant même le départ d’Alain Levy de la division musique du groupe (voir la dépêche du 9 février), tranchait déjà singulièrement depuis quelques temps avec les jérémiades et l’obstination bornée du discours ressassé par les autres géant de l’industrie du disque, y compris après l’appel lancé à Steve Jobs : non le piratage n’est pas la cause de tous les maux et les DRM ne sont pas l’unique planche de salut. Oui une autre pratique dans le business de la musique, et les DRM loin d’être une panacée peuvent se révéler en définitive l’une des raisons de nos difficultés actuelles à sortir de la crise. Les autres Majors devront désormais tôt ou tard leur emboîter le pas.
Quant aux dirigeants français qui avaient cru pouvoir ériger une ligne Maginot autour des DRM – pardon, des Mesures Techniques de Protection – en cédant au moindre caprice de la Major nationale, nous n’aurons pas la cruauté de rappeler l’inanité de leur posture de Statue de la Liberté éclairant le monde, prise au moment de la tragi-comédie de la loi dite DADVSI. N’est pas visionnaire qui veut et surtout qui le prétend.
A ses partenaires et parfois compétiteurs de l’écosystème iPod, le message est clair : ce n’est plus les chambres ou les poches d’étudiants mais désormais bel et bien le salon des parents qui est désormais votre terrain de conquête. Ce que vous ou vos prédécesseurs aviez fait en leur temps pour le microsillon haute-fidélité puis le Compact-Disc, vous pouvez à présent l’accomplir pour la musique dématérialisée, sans crainte que la qualité des contenus ne jette une ombre sur celle de votre matériel : avec 256 kb/s, la perception des audiophiles les plus exigeants qui plissaient parfois le nez à l’écoute de fichiers mp3 ou même AAC sera à présent la même que pour un bon vieux Compact-Disc. La balle est dans votre camp : vous pouvez dès à présent vous lancer dans la conception de véritables matériels Hi-Fi destinés au salon.
Quant à ses adversaires qui disputent à l’iPod sinon la première place, du moins quelques décimales de parts de marché, il est dit : “chiche !” J’ai abandonné le lien qui unissait l’iTunes Store à l’iPod, et le prétexte derrière lequel vous vous réfugiiez pour prétendre que la compétition était faussée n’existe plus : à vous de prouver que vous pouvez faire mieux que nous. Reste que c’est principalement Microsoft et sa XBox, et Soy et sa PlayStation 3 qui sont ici défiées, tant il est évident que la lecture de fichiers compressés à 256 kb/s s’adresse en priorité à des appareils sinon sédentaires, du moins très largement posés sur leur station d’accueil, afin de n’avoir pas à se soucier de problème d’autonomie.
la fin d’une ère
Même si l’on pense au premier chef à l’AppleTV, on peut tout de même s’attendre à l’arrivée imminente d’une nouvelle génération d’iPods améliorés sur ce plan (vous avez dit puissance par watt?), mais également de nouveaux matériels signés Apple et destinés à profiter au mieux de ce nouveau confort d’écoute, comme nous en avons fait ici à plusieurs reprise l’hypothèse (voir notamment l’Edito du 10 janvier, ainsi que la chronique du 20 mars). A tous, le message est clair : le CD, créé par la coopération de Philips et Sony avec l’ensemble des acteurs de la filière musicale, vit ses dernières années, et il aura cette fois fallu que 2 sociétés se mettent en avant, pour tenter d’entraîner le gros de la troupe à leur suite.
Or si même si rien de ce qui précède n’est franchement nouveau, Apple et EMI ont d’ores et déjà lancé le compte à rebours, pour de bon cette fois, et rappelé tout le monde au principe de réalité. La question de la queue de la comète, c’est à dire combien de temps l’on doit continuer à essayer de faire de l’argent avec une technologie obsolète est une des questions centrales de l’industrie actuellement. Les Majors du disque vont devoir trancher très vite à propos du CD : avec l’abandon des DRM – et même si le client garde encore le choix – et l’adoption de la norme 256 kb/s pour un prix inchangé, le Compact Disc a perdu ses 2 principaux atouts. Lui reste désormais la pérennité du support gravé, mais pour combien de temps?
On remarquera d’ailleurs que, pour une fois, l’accord s’est fait sur la revendication d’EMI, plusieurs fois répétée publiquement, de voir l’abandon des DRM assorti d’une augmentation du prix de vente. L’augmentation parallèle de la qualité d’encodage des fichiers vendus sur l’échoppe en ligne de La Pomme est-elle du fait d’Apple ? Est-ce pour justifier d’une augmentation du prix de vente à la pièce, à laquelle elle s’est toujours opposée ? Est-ce pour appuyer son offensive programmée en direction du salon ? En tout état de cause, le maintient d’un prix inchangé pour l’album montre la volonté de soutenir un format artistique qui a pris son essor à la fin des années 60 avec le 33 tours, et mis à mal par le nouveau modèle d’achat des morceaux à l’unité.
Un certain nombre de questions restent tout de même en suspend : qu’en sera-t-il des albums achetés dans l’ancien modèle avec les DRM : faudra-t-il s’acquitter d’une surtaxe pour le passer au niveau supérieur, quand son équivalent au format 256 kb/s sans DRM coûtera le même prix? Qu’en sera-t’il du catalogue des Indépendants, dont un certain nombre d’entre eux demandaient à ce que leurs titres soient vendus sans DRM ? On peut en tous les cas faire crédit aux deux sociétés de la cohérence de leur démarche : les vidéos du groupe seront en effet également commercialisées sans DRM : on peut donc avoir bon espoir de voir un jour les émissions de TV et les films commercialisés sans “boulet” pour l’utilisateur de bonne foi : studios et télévisions pourront-ils éviter les erreurs commises par les Majors du disque ? Rien n’a prouvé jusqu’à présent qu’elles sauront éviter d’avoir à se faire peur…
– La transcription de la conférence
– Le temps ne fait rien à l’affaire…”